Force et honneur !
Sur une base historique (l’Empire romain au Ier siècle après J-C), Bestiarius se déroule dans un univers de fantasy, où des créatures diverses et variées (les non-humains) vivent avec les hommes. Or,...
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le 8 nov. 2024
Les Japonais et l’histoire des autres, la nôtre en l’occurrence, ça en donne de ces choses. Des pas mal parfois, des qui nous feraient même honneur. De Cesare à Hannibal en bifurquant dans les coins de Thermae Romae, y’a ce qui faut. Pas du grandiose, rien que du correct ; mais ça suffit bien. Seulement, si des auteurs se sentent de nous la conter, l’Histoire, avec quelques libertés et autres approximations d’usage, d’autres, prennent un pan historique entier, s’en saisissent d’une poigne flasque, la jettent sur les pages qui leur viennent et bricolent péniblement par-dessus. Faudrait savoir distinguer une œuvre historique, qui sait s’inspirer de son contexte, d’une fiction dont les atouts de l’histoire ne sont là qu’en tapisserie. Bestiarus aurait eu tout à gagner à s’inspirer de la Rome antique plutôt que de prétendre s’en imprégner. Car il ne sera, en définitive, qu’un Gladiator du famélique qu’on aura porté sur papier afin de lui soustraire l’intensité picturale de ce qu’il copie.
Eh bah ça tombe rudement bien ; parce que c’est ce qu’il a fait, l’auteur. J’avais tout à redouter de cette histoire, mais qu’elle prit la peine de se distancer du cadre historique de ce que recouvrait Rome, tout en revêtant ses apparats, ne put que jouer en sa faveur. De la péninsule italique antique, demeure seulement le décorum ; le déco-Rome, si vous préférez.
Masasumi Kakizaki, autrefois porte-crayon de George Abe, a comme un passif à mes yeux pour avoir si mal su s’entourer. D’autant que son Green Blood, cette fois perpétré en solitaire, n’était pas bien fameux ; en tout cas dépourvu de moraline. C’est pas bien généreux de dire d’un auteur qu’il n’a jamais trop d’idées, mais paraît que ça ne se fait pas de mentir. Masasumi Kakizaki tente des trucs, voilà pour l’épitaphe. Parce que je l’enterre déjà, pauvre homme ; j’en ai fait le deuil avant qu’il n’expire. Il tente des trucs, mais jamais très fort. Ce qu’il jette sur le papier, il ne l’envoie jamais très loin. Une ébauche de concept pour débuter une série sans rien à y greffer dessus après, c’est tout de même à vous rendre famélique quand ça se lit.
« Y’a euh… y’a Rome, tu sais, les colonnes de marbre, les types en jupettes rouges. Hein, voilà, y’a ça. Mais… mais… y’a aussi des monstres tirés de la fantaisie. Ouais, un peu des gros monstres comme dans Berserk, mais en beaucoup moins bien foutus. Tu prends ? »
Sincèrement, je ne serais pas étonné que monsieur Kakizaki ait proposé son script à son éditeur en lui présentant en ces termes. Car il n’y a guère davantage à en dire. Référez-vous concrètement à ma critique de Green Blood pour savoir par avance ce qui vient comme reproches. Un concept élémentaire sur lequel rien ne se construit vraiment, des personnages si archétypés que leur rôle et trait de caractère gagnerait à être écrit sur leur front, de la baston erratique et sanglante sans pour autant impacter. Un déferlement de manque d’inspiration nous est agité sous le nez tout du long. C’est pas un calvaire, rien qu’une balade en train. On regarde par la fenêtre, on somnole et on attend que ça passe. De ce qu’on aura vu à travers la vitre, ces pâturages qui se ressemblent, on n’en retirera rien.
Qu’est-ce qu’il nous cuisine cet homme-là ? Il nous jette tout ce qui passe dans la marmite, ne remue pas, et espère qu’on fera un festin de ce qui en germera. Le garçon entraîné par les Wyvernes, Durandal… on dirait que l’auteur a retenu des termes éparses tirés de la mythologie européenne et qu’il nous les envoie aléatoirement. Decorum toujours, les créatures mythiques ne sont là qu’en tapisserie, un peu comme des caméos de personnages de comics qu’on adapte au cinéma histoire de dire qu’ils sont là. Formidable. Tant mieux pour eux, ça leur fait une sortie, mais ils ne servent concrètement à rien. Vous me remplacez une manticore par une tourte maléfique pourvue de dents, foncièrement, rien ne change au niveau du sens. Qui voudra voir une juste ou une ingénieuse exploitation d’un bestiaire de légende se reportera plus judicieusement sur Donjons et Gloutons je crois. J’en suis sûr, même.
C’est du nerdgasm petit-bras cette affaire-là. Un personnage principal se dit « frère du minotaure », parce que ça fait bien. J’admets que c’est un joli titre de gloire, ça doit faire impression dans un C.V, mais ce n’est que de l’épique au rabais. Je relis Übel Blatt, les nichons en moins. Le dessin en plus. Tout de même.
Il ne m’évoque rien ce dessin, surtout le visage des personnages d’où transparaît leur personnalité monolithique, toutefois, application il y a à dessiner les créatures. C’est pas du Miura, mais Dieu sait que ça aspire à en être.
Tout est téléphoné, les rencontres de personnages sont commandées par le destin avec option anchois. Il n’y a pour ainsi dire, aucune écriture à la manœuvre. Les personnages se laissent porter passivement par l’auteur qui les mène ici et là parce qu’il en a besoin, et non pas car l’intrigue ou la logique le commande. Les morts et les larmes, à quoi bon. Le lecteur n’a pas le temps d’être émotionnellement investi envers un personnage tragique que celui-ci glisse sur une peau de banane. Déjà qu’ils sont transparents, ils en deviennent évanescents ; invisibles. S’il vous vient une larme à la lecture de ces « drames », c’est un début de cataracte qui se déclare.
Tout le monde est soit très très très gentil ; du Lassie chien fidèle sous E.P.O, ou bien démesurément cruel. Pourtant, l’histoire nous en a contées des frasques impériales du temps de Rome, la mort de cause naturelle, une fois les lauriers sur les oreilles, elle leur était proscrite aux Imperators. Malgré l’époque haletante que fut ce premier siècle d’Empire, l’auteur n’en a rien tiré. Ses recherches ? Dix minutes sur wikipédia. Au mieux.
D’ailleurs, à voir tout ce dramatisme, hilarant tant il est rendu contre-productif par ses effets de manche grossiers et tapageur, je commence à relativiser les méfaits George Abe. Je l’avais tenu responsable du trait noirci dans Rainbow, mais je me demande si le dessinateur n’avait justement était celui-là même qui avait chargé la mule au point de décrédibiliser le témoignage d’une vie de son scénariste. Un témoignage qui aurait pu être poignant s’il n’avait pas été grotesque une fois trouvé sous le crayon d’un clown manifeste.
Finn marche sur tout le monde. Quitte à aller à fond dans la déconnade, monsieur Kakizaki, vous auriez pu y aller plus franchement et nous le présenter comme étant le Christ ressuscité, rédempteur par le glaive. Quitte à faire délibérément une connerie, autant que celle-ci soit au moins flamboyante afin d’avoir pour seul mérite d’être mémorable. Mais non. On a un personnage principal à qui aucune mésaventure saurait suggérer une égratignure. Il avance, implacable, venant à bout de qui se trouve sur son passage. Oh ! Doucement, Finn, les lecteurs aussi sont devant toi, va pas non plus leur écraser tes bottes sur la gueule. Ah bah trop tard, voilà que j’ai la trace de ses semelles sur la mienne. Celles d’Arthur, aussi. On n’est jamais de trop pour piétiner ses lecteurs après tout.
L’intrigue avance avec une telle force qu’elle écrase sans vergogne le potentiel intérêt qu’un lectorat pourrait porter à son endroit. Et c’est faire preuve d’une imagination débordante que qualifier le script d’intrigue.
Y’a pas une once d’inspiration. L’Empereur est défait, Elaine est conquise, le public beaucoup moins ; bonne journée messieurs-dames. Je vais occuper la mienne à laver de mon esprit ce que j’ai pu lire. Ne vous inquiétez pas pour moi cependant, ce sera pas trop compliqué de purger Bestiarus de ma mémoire ; interchangeable qu’il est à tout ce qui se fait de plus médiocre, j’aurais oublié jusqu’à son existence dans une heure environ. C’était un paysage le long d’un trajet en train ; et pas un qui fut radieux pour mémorable en quelque occasion que ce fut.
Créée
le 23 nov. 2024
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