Rome et les gladiateurs à la sauce Kakizaki [critique des tomes 1 et 2]

Nous sommes en 88 après Jésus-Christ. Toute l’Europe est occupée par les Romains… Toute ? Non ! Hebden, une petite vallée d’Albion, résiste encore et toujours à l’envahisseur. Et la vie n’est pas facile pour les garnisons de légionnaires romains qui doivent la conquérir : 250 000 hommes envoyés en trois ans, qui sont incapables de venir à bout d’un jeune homme et d’une wyverne. Comment ces deux guerriers en sont-ils arrivés là ? Les tomes permettent de répondre à cette question en retraçant une partie du parcours de Finn, un jeune guerrier de 22 ans élevé par Durandal, une wyverne de sexe masculin, qui joue le rôle d’entraîneur et de papa pour Finn. Unis pour le meilleur et pour le pire et sans potion magique à disposition.


Une précision importante doit être faite d’entrée : Bestiarius (1) se compose de plusieurs histoires, en partie indépendante les unes des autres mais qui se recoupent :



  • Le premier tome contient deux histoires :
    - Deux premiers chapitres nous racontent les débuts de l’histoire de Durandal et Finn (70 à 88 après JC)
    - Les 4 chapitres suivants traitent de l’histoire de Zénon et de son frère Talos (58 – vers 73 après JC)

  • Le second tome commence en 86 dans la région d’Hebden (Albion), où l’on va suivre un jeune garçon (Arthur) qui compte se rendre à Rome, en compagnie de deux amis, pour libérer Elaine, une jeune fille enlevée par les romains. Ils vont faire la connaissance d’un guerrier et de son père qui vont les entraîner afin de rejoindre la Ville Eternelle…


Reconstituer la cohérence des trois histoires et les liens qu’elles entretiennent entre elles n’est pas bien difficile, aussi la lecture des deux tomes se fait rapidement, sans difficulté majeure. Le style de Masasumi Kakizaki se reconnaît rapidement et n’a rien perdu de sa superbe (voir par exemple le début du tome 2 et le passage dans la grotte qui n’est pas sans rappeler Hideout). L’allure des personnages – humains comme non-humains – est à la fois marquante et discriminante : un regard et l’on repère assez vite qui est qui, qui sont les bons, qui sont les méchants, l’entre-deux semblant peu présent pour le moment. L’auteur se fait plaisir et nous fait plaisir quand il introduit quelques monstres dans l’arène (Durandal – dont on se demande comment il a fait pour passer la porte lui permettant de rencontrer l’empereur Domitien – , la Manticore…) qui installent immédiatement une impression de force, de terreur, si bien que l’on peut regretter que le format des tomes ne soit pas plus grand, pour pouvoir mieux apprécier les double-pages et le coup de crayon de l’auteur. Autre petit regret à la fin des deux tomes : on aimerait en voir plus lors des combats. Ces derniers ne traînent pas en longueur et leur mise en scène laisse quelque peu sur sa faim : la violence, l’intensité sont présentes mais on a malgré tout l’impression qu’il en reste sous le pied de l’auteur, que l’on pourrait en avoir plus.


Du côté de la thématique, on est en terrain connu : domination, émancipation, violence, liberté, liens. L’empire romain, symbolisé par son empereur, Domitien, est à son apogée. L’empereur, avide de sang, de proposer à la foule des combats toujours plus animés et dangereux, pour que le sang coule et que les spectateurs soient satisfaits. Panem et circenses ? Une forme de catharsis ? Le sujet n’est pas développé mais vu l’affluence lors des combats, il fait peu de doutes que ces affrontements plaisent, quand bien même ils mettent parfois en danger de jeunes enfants. On éprouve alors peu de sympathie pour les romains de la haute société, que ce soit l’empereur, la femme du sénateur Crassus – Arianna – , qui croisera la route de Zénon, le gouverneur de Britannia, Lépide… Cette société romaine vit des conquêtes et affiche une puissante discrimination entre les personnes libres et les esclaves mais aussi entre les humains et les non-humains – ces derniers vivants dans les égouts quand ils ne sont pas capables de travailler dans les mines ou de se battre dans l’arène. Les dominants abusent donc de leur position pour marginaliser et massacrer les peuples, s’approprier les territoires conquis. Face à eux les survivants qui ne sont pas déjà brisés par ce système se battent pour regagner un certain honneur, protéger ceux qui leur sont chers voire retrouver leur liberté.


Dans cet univers passablement sombre, l’auteur prend certaines libertés pour construire son récit. Si des repères temporels sont présents, si l’on parle de Rome, des éléments d’autres périodes arrivent : la légende arthurienne se dessine avec le second tome avec un jeune Arthur accompagné de Galahad (qui est devenu un gobelin) et de Pan – adapté librement de la mythologie grecque – quand le premier tome était orienté mythe du minotaure, wyverne. En somme Masasumi Kakizaki n’est pas contraint par un cadre historique rigide, par la volonté de proposer un récit qui colle à la réalité de l’époque. Cela transparaît clairement quand il évoque la naissance de Bestiarius : « Pourquoi pas quelque chose sur la Rome Antique ? […] Mais vu que c’est pour un magazine de shônen je pourrais ajouter des éléments de fantasy, genre des dragons ! » (où l’on voit, au passage, que la distinction shônen/seinen… peut avoir malgré tout quelques implications sur le récit)


Ce propos de l’auteur se trouve à la fin du premier tome. Elément intéressant : à la fin de chaque volume se trouve quelques mots, où il nous raconte comment est née la série, comment il s’est rendu en Italie pour faire des recherches (et aussi boire un peu de vin…), ses échanges avec son responsable éditorial… Le propos est court à chaque fois mais constitue un petit plus appréciable en même temps que l’auteur nous remercie d’avoir acheté le tome. L’occasion de dire quelques mots sur l’édition française.


Pour le retour de Kakizaki chez Kazé, on peut dire que que la maison d’édition a soigné sa copie. Bande-annonce, site internet bien fourni en informations, pages couleurs, couverture dont l’image court sur les deux faces sans interruption, traduction agréable avec un petit travail appréciable du côté de la police d’écriture (Durandal a une police à lui par exemple). Il reste éventuellement la question du format des tomes, déjà évoquée un peu plus haut, mais pour le reste, il n’y a pas de points négatifs à signaler.


Après un voyage en amoureux sur une île qui se passe mal (Hideout) et un western un peu plus joyeux (Green Blood), Kakizaki s’attaque ici à l’empire romain pour nous proposer sa vision, son appropriation de ce moment de l’histoire. Le tout est séduisant et la tension qui apparaît à la fin du volume deux nous donne déjà envie d’être au 27 janvier, moment où le troisième tome doit paraître en librairie.


(1) Le titre du manga est issu du latin où bestiarius désigne une personne qui combat des bêtes féroces lors des jeux du cirque.

Anvil
8
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Créée

le 24 oct. 2015

Critique lue 367 fois

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Anvil

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