« Vroum » fait la moto
Il s’en sera fallu de deux cases d’ici à ce que je puisse établir une médiation claire et sans ambages entre les plans dessinés par Tsutomu Nihei et certaines des délicieuses esquisses parsemant par...
le 20 oct. 2023
7 j'aime
Il s’en sera fallu de deux cases d’ici à ce que je puisse établir une médiation claire et sans ambages entre les plans dessinés par Tsutomu Nihei et certaines des délicieuses esquisses parsemant par instants les pages de Desert Punk. La brutalité du trait associé à un ton quasi-mystique, là où les ombres sont perdues dans le brouillard, il y a de ça avec Biomega, et cela, sans compter le reste. Le « reste », c’est ce qui nous sera rapporté par une plume, une qui nous rappelle que l’auteur fut particulièrement versé dans l’architecture, confirmant ainsi qu’il n’avait rien perdu de son crayonné depuis BLAME!. Les constructions glaciales et acérées d’un décor urbain et futuriste, là où les câbles sont autant de toiles d’araignées lugubres, signent et consacrent à nouveau le style très sombre et personnel de son auteur. Exception faite des Drones, ces incongruités bio-mécaniques à l’apparence humaine, les visages des personnages, mieux soignés que du temps de la première œuvre majeure de Nihei, me seront cependant apparus plus impersonnels qu’alors. L’aspect brouillon des débuts, quand il ne se perfectionne qu’à moitié, perd en charme sans finalement rien gagner en retour.
Par deux fois déjà, et en un seul paragraphe de temps, j’ai référencé BLAME!. La comparaison est aussi bienvenue qu’inévitable alors que c’est dans un univers futuriste typique de l’auteur que nous serons à nouveau plongés. Comme alors, les personnages y seront froids et monolithique et l’intrigue nébuleuse, perdue qu’elle sera dans la densité de la construction d’un univers superbement abouti. Et puis, on aura beau jouer au jeu des sept différences à comparer Zouichi et Killy… on peinera à les distinguer l’un de l’autre, autant pour ce qui est de la psyché que de l’apparence.
Comme un ingrédient salé qu’on aurait ajouté au dernier moment dans un dessert, Tsutomu Nihei se sera essayé ici à l’excentricité en incluant un ours aux caractéristiques humaines parmi ses protagonistes. Ça jure dans le paysage. Mais alors, très méchamment. Un paysage qui sera d’ailleurs si familier aux primo-lecteurs de BLAME! que ceux-ci ne pourront simplement pas voir autre chose que la précédente œuvre. D’autant que l’intrigue s’y rapporte en bien des occasions sans jamais que les deux univers n’aient pourtant le moindre rapport entre eux. Car là encore, il est question de rechercher quelqu’un en particulier, un élu à même de sauver l’humanité de par ses caractéristiques biologiques. Ce sera ça qui nous irritera en premier lieu quand on s’essaiera à Biomega : le fait que Nihei ne se sera que bien peu renouvelé d’une œuvre à l’autre.
Ce qui était étrange et imperceptible le temps de BLAME! avait son charme alors que toute notre lecture se retrouvait parsemée de mystères. Biomega, en s’essayant parfois à nous confondre, nous déçoit. Le charme quiet et froid où l’on croyait entendre résonner le métal à chaque pas de l’œuvre initiale de Nihei ne s’émule en aucune manière ici tout en cherchant néanmoins à prendre forme. Pour un peu, ce récit, je lui reprocherais d’être trop intelligible pour notre bien. C’est plus bavard que BLAME ! et ça nous gave le gosier avec des informations trop indigeste pour qu’on puisse s’en contenter. Une histoire de virus et d’infectés ? Deux ans après la sortie « 28 jours plus tard » ? Non, décidément, la mayonnaise ne prend pas du fait que ses ingrédients soient tous périmés de longue date.
La débandade se poursuit tandis que Biomega persiste à se compromettre dans l’action stupide alors que les détonations fusent en série depuis les crachoirs à munitions divers et variés. Et sans jamais vraiment rencontrer de véritable résistance en face puisque Zouichi est un véritable Terminator, ses frasques étant évidemment étalées sur des chapitres entiers où rien ne se passe et où tout trépasse après qu’une moto ait tracé sa route à vive allure au milieu de zombies hagards et stupides. Des zombies, parfaitement, car c’est de ça dont il est toujours question quand on parle « d’infectés ». Biomega, je l’écris malgré mon respect pour l’auteur, est un manga de zombie apocalypse croisé avec le Cinquième Élément et Ghost of Mars. On pourra nier l’évidence, tourner ça autrement pour attribuer à l’œuvre une dimension autre du fait que son habillage soit séduisant à certains égards, mais une fois passé outre la forme, un constat lucide nous forcera à admettre que le fond est salement lacunaire.
L’enjeu a beau être de taille, l’intensité y est tellement déficitaire qu’on s’en détourne très volontiers. La fin de l’humanité qui s’annonce ne suggère pas un haussement de sourcil tant rien n’apparaît urgent ou même vaguement préoccupant. D’autant que les motivations des antagonistes sont aussi vagues que controuvées pour justifier que quelques salves leur soient tirées en pleine gueule à longueur de pages. Et cette bataille finale… avec option chevalier en armure sur son destrier... si on m’avait dit un jour que Nihei rappellerait à moi quelques souvenirs malplaisants de Shônens frelatés, je n’aurais pas même osé y croire. Et pourtant… le pire étant que Biomega n’est presque fait que de ça. Je croyais l’auteur à même de planer au-dessus de tout ce qu’il y avait de concevable sur le plan de l’originalité, et je le retrouve vautré dans ce qui se fait de pire. Il a son dessin pour lui, c’est entendu, mais celui-ci s’affadit bien vite alors qu’il ne se prête à qu’à un dessein scénaristique franchement discutable. Un de ceux qui se concluent par un Happy End faussement ambiguë, commandé par une fin éditoriale prématurée faute de lecteurs assidus. Au final, BLAME! et Biomega sont semblables à la vue au même titre que l'andouillette et un étron fumant peuvent l’être aux narines ; l’un est plus savoureux que l’autre dirons-nous pour rester polis.
Quel déclassement j’ai pu observer ici le temps de six volumes insipides ; c’est était déboussolant.
Il n’y a que deux points qui séparent ma note de BLAME! de celle de Biomega ; deux points larges comme une galaxie. Le 5/10 attribué à BLAME! valait un sept sur dix reconditionné du fait que l’œuvre m’avait saisi sans que je ne puisse définir comment ou pourquoi. C’était un manga à part, un OVNI sur le plan de la construction du récit, de la narration et une pépite pour ce qui était de la construction de son univers comptant parmi les plus fournis du milieu de la science-fiction. Biomega, en comparaison, tient lieu de parodie, et pas une qui de celles qui soient susceptible de vous arracher un rire quelconque. Biomega est commun. Il le cache bien, mais il l’est incontestablement. J’aurais pu multiplier les adjectifs les mieux disposés à déprécier l’œuvre pour exorciser la déception, mais « commun » est finalement le pire de tous quand on sait qui en est l’auteur.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste [Mangas] Ici, on tue les ours
Créée
le 20 oct. 2023
Critique lue 275 fois
7 j'aime
D'autres avis sur Biomega
Il s’en sera fallu de deux cases d’ici à ce que je puisse établir une médiation claire et sans ambages entre les plans dessinés par Tsutomu Nihei et certaines des délicieuses esquisses parsemant par...
le 20 oct. 2023
7 j'aime
Entre la noirceur cryptique de BLAME et la joyeuseté presque shonen de son futur Knights Of Sidonia, Biomega est une œuvre transitoire dans le parcours graphique et narratif de NIhei, tant elle...
le 26 nov. 2023
4 j'aime
1
Biomega est un excellent défouloir pour Tsutomu Nihei et dire que l'on n'y comprend rien peut se comprendre ! Je spoil car c'est obligé avec Nihei. Tout d'abord, il faut juste avoir lu la fin qui...
le 8 déc. 2012
3 j'aime
Du même critique
Nous étions le treize avril de l'an de grâce deux-mille-six, j'avais treize ans. Je venais de les avoir à dire vrai ; c'était mon anniversaire. Jamais trop aimé les anniversaires, il faut dire que je...
le 20 juil. 2020
62 j'aime
170
Ça nous a sauté à la gueule un jour de printemps 2013. Il y a sept ans de ça déjà (et même plus puisque les années continuent de s'écouler implacablement). Du bruit, ça en a fait. Plein, même. Je...
le 8 avr. 2020
35 j'aime
60
Il s'agit là du premier dix que je suis amené à délivrer pour une des œuvres que je critique. Et je n'ai pas eu à réfléchir longuement avant d'attribuer pareille note ; sans l'ombre d'une hésitation...
le 17 janv. 2020
33 j'aime
14