L'intégrale est parue en 2006 mais c'est sous sa forme de six volumes doubles édités pour la première fois en France chez Delcourt de 1998 à 2005 que j'y ai replongé récemment, ces beaux petits objets étant bien au chaud rangés dans ma bibliothèque.
La "Peste" n'est pas le sujet essentiel de BLACK HOLE, c'est en fait une histoire parallèle et finalement un prétexte pour montrer de manière fantastique ce que ressentent et vivent les personnages. C'est la manifestation physique de l'agitation intérieure qu'éprouvent tous les adolescents, une métaphore de l'enfant qui grandit, qui change tellement vite qu'il se reconnait à peine. C'est aussi l'éveil sexuel, l'aversion à devenir un adulte responsable sous couvert d'une maladie sexuellement transmissible.
Sous ses aspects d'épouvante, mené comme un thriller et accentué par un fabuleux noir et blanc, BLACK HOLE n'en est pas moins une oeuvre légère et mordante qui alterne avec justesse le grotesque et la tragique banalité du quotidien. Certaines cases pourraient même par moment prêter au ridicule si ce n'était le travail d'un des plus talentueux dessinateur américain. En effet, outre des vagins parsemant la lecture, il faut aussi une sacrée virtuosité pour présenter une femme nue dotée d'une queue telle un animal et parvenir à la rendre sous différentes postures excitante. Ce récit est donc à la fois terrifiant et sexy, et son fil conducteur perturbant est fait de flashbacks qui ne ralentissent surtout jamais le propos. Déroutant, Charles Burns a cependant jeté de minuscules indices ici et là pour rendre son oeuvre compréhensible par tous les lecteurs.
Fait de lignes sombres et d'ombres, où l'encrage a une part prépondérante, BLACK HOLE est d'une très grande qualité expressive. Même lorsqu'il lorgne dans le fantasmagorique il reste constamment d'un intense réalisme. Les traits et le cadrage sont d'une grande pureté et restituent avec détails les moindres objets, lieux ou individus, que ce soit une tente, la profondeur des bois ou les corps infectés des personnages.
De ses premières pages présentant la dissection de grenouilles à sa conclusion désespérément calme et étrangement belle, voire même suicidaire, Burns capture l'essence même du chagrin et de la peur chez les adolescents. Il offre un comics qui demande à être lu et relu à des heures et des lieux différents pour en apprécier les multiples qualités visuelles et subtilités narratives. BLACK HOLE est tout simplement et sans commune mesure la meilleure bande dessinée évoquant cette période que chacun d'entre nous a connu, et cela même si le génie de Burns et l'histoire de cette incroyable série familière et inhospitalière dérange et dérangera encore certains.
Black Hole T. 1 - Sciences naturelles, Delcourt, 1998
Black Hole T. 2 - Métamorphoses, Delcourt, 1999
Black Hole T. 3 - Visions, Delcourt, 2000
Black Hole T. 4 - La reine des lézards, Delcourt, 2002
Black Hole T. 5 - Grandes vacances, Delcourt, 2003
Black Hole T. 6 - Bleu Profond, Delcourt, 2005
Black Hole (intégrale), Delcourt, 2006