L'emballement technologique dans son aspect le plus extrême, voilà ce que désire nous montrer Blame, en 1997.
Cet emballement est illustré par les mégastructures, d'immenses constructions représentant la toile d'un monde à l'agonie. On ne connaît ni leurs proportions, ni où commence le haut et le bas. Tout ce que l'on apprend, c'est qu'elles ont grandi telles des tumeurs d'acier, au point qu'il est désormais impossible de savoir s'il existe un début et une fin à ce monde étrangement familier.
Killy, inspecteur du bureau gouvernemental, cherche une solution à cette sorte de mutation anarchique qui s'est emparée de ces citadelles grinçantes et sinistres : le terminal génétique qui se trouverait à la surface, porteur de gène sain. Avec le terminal, il pourra gérer l’ensemble du monde, et avec le porteur, il pourra sauver l’humanité d’elle-même, et de ses erreurs.
En effet, un virus cybernétique s'est emparé de l'humanité, mettant en place différents camps dans cette lutte pour la survie. D'abord, l'humanité, optimisée numériquement afin de survivre dans ce nouvel environnement, mais devenue parasite sur sa propre planète, se voit traquée par des êtres mi-robot, mi-bête : les silicates. Ces créatures, capables du pire, sont cependant un maigre fragment de la menace qui pèse sur les humains : en effet, au sein de cette prison titanesque, des geôliers cybernétiques, les sauvegardes, oeuvrent secrètement afin d’éviter tout débordement qui pourrait amener à la fin de l’ère des mégastructures.
Enfin, il y a les Constructeurs, d'immenses êtres bio-mécaniques ajoutant sans cesse de nouveaux édifices à cette cité d'acier, sans jamais s'arrêter.
Les divers personnages que rencontre notre taciturne Kelly sur sa route vers le terminal ne ressemblent d'ailleurs plus à grand-chose d'humain, avec leurs corps destructurés à l'aspect filiforme. Ces êtres à moitié vivant et morts, pâles reflets de notre existence et de notre humanité effacée, sont autant de rappels réguliers à ce qui pourrait condamner l’humanité, si elle finissait par ne voir en la technologie qu’un palliatif à tous ses problèmes.
Le temps dans BLAME!
La notion de temps n'existe pas dans Blame. Ou si elle existe, elle est en tout cas dilatée sur des durées effroyablement longues, au point que rien ne nous laisse savoir quand nous sommes... ni même, où, nous sommes. Perdus dans les entrailles biomécaniques d'un monde dont on ne sait s'il est à l'agonie ou déjà mort, nous assistons avec une profonde incompréhension à des affrontements explosifs où des pans entiers d'armature s'effondrent face à la puissance démesurée de nos protagonistes (en particulier de Killy et de son pistolet à radiations).
Cette incompréhension subsiste jusqu'à la fin de la lecture, étant donné que l’auteur ne nous donne finalement que très peu d’indices sur ce qui se cache derrière la surface métallique de l'œuvre. Nihei use de son trait habile afin de combler chaque millimètre de ses cases de micro-détails, posés méticuleusement dans le décor. Lecteur, si tu es d'ordinaire habitué à dévorer les tomes, sache qu'ici cela ne pourra que te porter préjudice.
L'aspect cryptique de Blame! réside finalement dans cette volonté d'effectuer une lecture plus assidue et à amener une réflexion sur chaque détail posé dans l’aventure de Killy. Mais c'est aussi cela qui fait du travail de Nihei une œuvre fascinante et déroutante, et la conclusion de l'œuvre, si l'on peut appeler cela une conclusion, n'est finalement qu'une immense porte ouverte vers d'autres questions.
Cette incursion dans cette vallée de l'étrange où l'organique côtoie le mécanique restera sûrement l'une des plus troublantes lectures que vous pourrez avoir, et en nécessitera sûrement une deuxième pour en saisir certaines clés, si tant est que Nihei veuille bien vous les donner.