Une œuvre magistrale et unique, dont l’impact se ressent non seulement par son esthétique, mais aussi par sa narration minimaliste et énigmatique. C’est un manga qui transcende les conventions narratives traditionnelles en faisant de l’ambiance et de l’art visuel les principaux moteurs de l’histoire. Nihei, qui a une formation d'architecte, parvient à fusionner des structures gigantesques et déshumanisées avec un univers cyberpunk post-apocalyptique, créant ainsi une œuvre qui défie l’ordre établi du storytelling dans le manga.
Déjà humainement parlant ça me parle beaucoup, se servir d'une formation précédente, comme d'un socle pour créer un univers et raconter quelque chose, c'est déjà grandiose.
Ce que remarque immédiatement dans Blame!, c’est l’immensité vertigineuse de ses décors. La Cité Mégastructure, un labyrinthe infini qui semble engloutir le monde, est autant un personnage qu’un décor. La ville elle-même devient une entité impénétrable, presque vivante, construite par des machines déconnectées de tout contrôle humain, et cette sensation d’abandon et de désespoir imprègne chaque page. Nihei parvient à exploiter cette architecture démesurée pour créer une atmosphère oppressante et aliénante, où les personnages semblent écrasés par la taille démesurée de leur environnement.
L’utilisation des silences et du vide est un autre élément clé qui différencie Blame! de nombreuses autres œuvres. Contrairement aux mangas traditionnels, Nihei adopte une approche minimaliste dans ses dialogues. Killy, le protagoniste, est souvent entouré de silence, errant seul à travers des couloirs interminables, à la recherche du gène Terminal Net, une quête presque absurde dans un monde où l’humanité a perdu le contrôle. Ce choix de narration silencieuse et contemplative plonge le lecteur dans une solitude palpable, une forme d’isolement émotionnel qui renforce l’étrangeté et la désorientation de cet univers.
Nihei parvient à raconter une histoire sans dépendre des mots, laissant les images imposantes des structures mécaniques et l’action parler d'elles-mêmes. C’est une œuvre où les dialogues ne sont pas nécessaires pour comprendre le désespoir du monde que Nihei a créé. Cependant, cet aspect peut aussi devenir un point de frustration pour certains lecteurs. Cette absence de clarté narrative peut rendre la lecture fastidieuse, où l’on avance sans toujours comprendre le sens profond de l’histoire cela, Blame! reste une œuvre profondément artistique, notamment grâce à l’attention minutieuse que Nihei accorde aux détails architecturaux et à la mise en scène des séquences d’action.
Chaque plan est construit avec une précision d’orfèvre, comme si chaque ligne servait à renforcer l’atmosphère dystopique et post-humaniste de cet univers. La Cité Mégastructure est un amalgame de dystopie cyberpunk, de brutalisme architectural, et de science-fiction cauchemardesque. Nihei, à travers ses décors labyrinthiques, exprime l’idée d’un monde où l’humain a perdu tout pouvoir face à la machine et où la civilisation n’est plus qu’un vestige. Et j'ai bien peur qu'au fond, le plus grand défaut de l'oeuvre, c'est que ça ne raconte que ça.
D’un point de vue artistique, Blame! est sans doute l’une des œuvres les plus radicales et iconoclastes dans le paysage du manga. Son style graphique, presque brut et industriel, se conjugue avec une narration elliptique, laissant souvent le lecteur dans une sorte de vertige narratif. Cette approche stylistique, bien que parfois difficile à suivre, est aussi ce qui en fait un chef-d'œuvre pour certains. Pour ceux qui sont prêts à s’immerger dans cet univers de silence et de désespoir, l’œuvre devient une expérience immersive inégalée. À ce titre, Blame! n’est pas simplement un manga, mais une œuvre d’art à part entière, où la forme et le fond se confondent pour créer une expérience unique.
Il y a une volonté de faire chercher les lecteurs/trices, de leurs proposer de créer des histoires sur bases de ce qu'ils peuvent supposer des décors.
Toutefois, Blame! peut aussi déstabiliser. Pour les lecteurs qui s’attendent à un récit linéaire ou à une explication détaillée des événements, le manga peut sembler trop opaque. Nihei ne cherche pas à rendre son univers accessible ; il demande un effort de la part du lecteur, une immersion totale dans cet environnement déroutant et inhospitalier. Certains saluent le génie de l'auteur pour son approche visuelle révolutionnaire et sa capacité à créer un univers si vaste et mystérieux, tandis que d’autres regrettent le manque de cohérence narrative ou la difficulté à s’attacher aux personnages.
Je suis tiraillé entre les deux, bien que mon cœur penche franchement vers l'abyme infini de structures gigantesques, en recherche de sens. C'est un bonbon pour l'imaginaire, mais émotionnellement parlant, c'est probablement très creux.
Je pense sans hésité que cet auteur à grandement contribué à l'esthétique liminale, en y ajoutant cette couche de science fiction, qui renforce l'aspect mystérieux et inquiétant de chaque planches. Je m'y perd par plaisir, mais j'ai de la peine à le recommander.