Ce sont parfois dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes. Prenez un jeune homme de 17 ans (Yan Xiaoliu devenu Yan Heng) , plutôt doué, membre d’une école d’arts martiaux – l’école Qingcheng – bénéficiant d’une solide réputation (« Insurpassables dans le Sichuan« ). Une école rivale – celle de Wudang (à ne pas confondre avec le Wu-Tang Clan) – arrive pour une visite qui n’a rien d’amicale : Qingcheng devra se soumettre ou disparaître. Ajoutez un affrontement entre les deux meilleurs individus présents (He Zisheng pour Qingcheng et Ye Chengyuan pour Wudang) et la défaite de Qingcheng. Un massacre s’ensuit, qui concerne tous les disciples de l’école vaincue (sauf les débutants au départ). Saupoudrons le tout avec la fuite de Yan Heng (avec les épées du maître) qui jure de se venger. Dans sa mission il n’est pas seul : Jing Lie, représentant d’une école qui a aussi été décimée par Wudang, souhaite lui aussi venger son école. Plus âgé et plus fort que Yan Heng, leur duo devrait rapidement venir siffler aux oreilles de ceux de Wudang.
Les ingrédients sont là, le récipient aussi. Il ne reste plus qu’à mélanger le tout. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat n’est pas désagréable. Arrêtons-nous d’abord sur le dessin. Contrairement aux couvertures en couleurs, l’intérieur des volumes se déguste en noir et blanc. Le trait n’est pas stable : il varie en fonction de l’action, de la situation des personnages. De quoi donner force et caractère à chaque personnage. La galerie de personnages ne s’oublie donc pas facilement. Un bon point pour reconnaître les différents protagonistes donc certains se détachent des autres : par leur allure, leur fonction, leur style… Aucun personnage, même le moins élevé dans la hiérarchie n’est sacrifié et c’est avec un certain plaisir que l’on regarde les différentes planches, que l’on peut profiter des détails qui nous sont offerts.
Vu ce qui précède, les combats occupent une place de choix et c’est vrai – du moins pour ces premiers volumes. Les épées quittent leur fourreau et viennent s’entrecroiser, marquer la chair et prendre la vie. Les scènes s’enchaînent joliment. Elles sont aussi commentées mais d’un point de vue externe : on ne plonge pas dans la tête des personnages mais on nous explique ce que chacun fait, pourquoi, quelles sont les conséquences, etc. C’est bien : cela nous éclaire sur ce qui se passe, on prend mieux conscience des heures de travail nécessaire pour accomplir tel geste… ; c’est mal : les pages peuvent parfois apparaître un peu trop chargées. Affaire de point de vue.
Attention toutefois à ne pas déduire de ce qui précède qu’il ne s’agit là que d’un manhua de brutes qui se tapent dessus pour savoir qui sera la meilleure école du monde. Il y a plus. Non seulement on en apprend davantage sur le fonctionnement des écoles, leur manière de recruter du sang neuf, comment on gravit (ou non) les échelons, ce que cela représente pour chacun – la différence du rapport à l’école et à l’avenir entre Yan et son ami Hou est nette et sera sans doute importante pour l’avenir – mais aussi sur l’implication des écoles dans la vie de leur région : crainte et respectée, l’école de Qingcheng n’hésite pas à intervenir lors d’une querelle entre tyrans locaux. Pour servir la justice ? Non : en réponse à la demande de l’un des deux qui saura se montrer reconnaissant par la suite… L’école tire de là de quoi s’alimenter, question d’importance si on veut avoir du temps à consacrer aux arts martiaux. A travers les écoles c’est aussi une histoire – partielle mais peut-il en être autrement ? – de la Chine qui nous est racontée, d’autant plus que les notes de bas de page aident grandement à mieux comprendre tel ou tel aspect de l’école, d’un personnage…
D’autres éléments viendront s’ajouter ensuite, au fil des chapitres, qui viendront agrémenter le récit de base. Tant mieux en un sens : on évite ainsi un découpage méchants/gentils posé dès le départ et une suite qui ne servirait qu’à abattre une école maléfique par essence. Cela ne pourra rendre les chapitres suivants que plus intrigants et rythmés. Wudang est-il vraiment le grand Satan ? Yan et Jing seront-ils seuls dans leur quête ou bien d’autres survivants se joindront-ils à eux ? Quel avenir pour les amis proches de Yan ? Voilà les principales questions qui surgissent lorsque l’on referme le deuxième tome de Blood and Steel.
Dans un marché du manga où les titres s’accumulent, se tourner vers d’autres productions asiatiques est une ouverture bienvenue. On ne peut donc que saluer ce choix des éditions Kotoji tout comme leur décision de publier simultanément les deux premiers tomes du manhua. Un seul aurait sûrement fait trop peu au sens où si l’action est là, on ne peut pas dire que l’intrigue avance énormément. Avec deux volumes (10 chapitres), on est un peu plus rassasiés même si, déjà, on raye les jours sur le calendrier en attendant l’arrivée du prochain tome. Serez-vous aussi rapide à vous plonger dans la série que Yan à dégainer ?