Blue Exorcist
6.4
Blue Exorcist

Manga de Kazue Katō (2009)

Blue Exorcist m'aura indifféré comme rarement. C'est dans les limbes du Shônen bas de gamme qu'il barbote ; trop commun pour valoir l'attention mais trop modéré pour susciter l'ire, il est situé au centre d'un entre-deux dont les extrémités qui le partagent ne sont déjà pas franchement affriolantes pour commencer. Je reprocherai d'abord à Blue Exorcist d'avoir plus de corps que d'âme mais me refuserai en revanche à tout procès d'intention concernant son auteur dont je n'aurais douté de l'engouement pour son œuvre au fil de ma lecture.
Cependant, même avec les meilleures intentions du monde, une composition ne saurait être prodigieuse sans que les idées qui la charpentent ne le soient en premier lieu. De la bonne volonté mise au service d'une cause perdue ne revient ni plus ni moins qu'à pisser dans le tonneau des Danaïdes.
Elle aura bien pissé la bonne Kazue mais rien de probant ne sera ressorti de son ouvrage. Car de ce que j'ai lu des critiques la concernant, ceux qui aiment cette composition ne la révèrent que du bout des lèvres et ceux qui la détestent ne voient pas prétexte à la vouer aux gémonies. Que ce soit en bien ou en mal, Blue Exorcist ne suggère pas grand chose ; il est ce Nekketsu qui peut éventuellement distraire sans jamais rien bousculer. Un de plus en tout cas, un visage quelconque dans une foule compacte, celui qu'on ne remarque pas et qui, de toute manière, ne nous évoquerait rien.


Une femme à la manœuvre d'un Shônen, donc. J'en ai en principe des choses à dires à ce sujet - rarement des choses agréables - mais pour le cas présent, rien ne me vient. La touche féminine y est absente ou en tout cas trop diffuse pour être réellement perceptible. Kazue Kato se sera effacée au profit d'un public qu'elle devine masculin, adaptant son écriture en conséquence comme Arakawa a pu le faire pour Full Metal Alchemist. Les amateurs de remarques sexistes resteront sur leur faim, Blue Exorcist aurait aussi bien pu être écrit et dessiné par un mâle que les différences auraient été quasi imperceptibles.


Féminin ou non, ça reste un Shônen qui s'en tient à des codes particulièrement étriqués et qui n'y dérogerait pour rien au monde. On marche dans les clous, on colorie dans les lignes et surtout, on ne dépasse pas. L'affaire débute avec un protagoniste hutin mais bon cœur pour ne pas dépayser - ou innover, c'est selon. Tout le monde gueule pour un «oui» ou pour un «non» selon que la narration cherche à prodiguer de l'humour ou de la tension à son lecteur ; il est préférable de se lancer dans une première lecture de Blue Exorcist à jeun. S'il n'est pas certain que le contenu de votre estomac ne se déverse soudainement face à l'excès de clichés nous parvenant d'emblée, il n'est pas non assuré de rester en dedans.


J'aurais un peu tiqué à me confronter aux dessins ; c'est que ces derniers m'auront d'abord rappelé - dans une moindre mesure - la farce graphique de Dreamland. Au regard de la rigidité des postures des personnages j'entends. Ça se détend heureusement bien vite et cette première impression est aussitôt effacée de nos mémoires. Pour autant, le dessin est - sans se distinguer en aucune manière - malgré tout relativement plaisant en ce sens où il ne contrarie pas l'œil à la lecture. Certains visages m'auront rappelé les premiers tomes de Soul Eater, notamment dans la position singulière des yeux.


Puisqu'il faut bien commencer quelque part mais pas nécessairement au meilleur endroit qui soit, il sera d'emblée question du fils de Satan. Comme s'il était judicieux pour moi de renouer avec la progéniture du malin le temps d'un manga...
C'est encore bien pratique le coup du fils de Satan pour le personnage principal, ça justifiera le Kyubi/Pouvoir maléfique enfoui qui explosera chaque fois qu'une situation le nécessitera par la suite. Et c'est pas ça qui manquera. Vous m'excuserez si je ne m'en réjouis pas en vous l'apprenant, mais les poncifs prescrits à des doses peu recommandables ont le mérite de plomber mon humeur ; une réaction chimique avant d'être une réaction critique.


Fatalement, l'exorcisme annoncé dans le titre puis dans l'œuvre ne sera pas sans rappeler celui pratiqué par D. Gray Man. Plus encore quand, plus tard, le Vatican commencera à s'en mêler. C'est à croire qu'il s'agit de la thématique de prédilection des auteurs féminins de Shônen. Le traitement différera évidemment - et pas nécessairement pour le mieux - prévenant alors ainsi largement Kazue Kato du moindre soupçon de plagiat susceptible de planer. L'exorcisme n'est pas un concept sur lequel qui que ce soit puisse déposer un brevet après tout. Il n'empêche que.


Ces personnages... Ah ! Ces personnages ! Ils sont... ils sont... ce qu'on peut attendre de la faune grouillante toute droit sortie d'une termitière Nekketsu. Des personnalités qui se résument en quatre ligne à condition d'être prolixe, toutes déjà vues et revues jusqu'à la lassitude si ce n'est la nausée ; des personnalités dont vous connaîtrez chaque modeste nuance jusqu'au dernier des contours si vous n'en êtes pas à votre premier Shônen. Sans parler de l'exubérance qui, chez certains - qui a dit Mephisto ? - ne font que forcer inutilement le trait au point d'en devenir ridicules. L'excentricité, mademoiselle Kato, ça ne s'impose pas, ça s'instille. Comme tout caractère d'ailleurs. Mais allez parler de mesure et de nuance à qui ne connait que le noir et le blanc.


Artificiel et sommaire toujours, la relation entre les personnages. Je ne saurais dire si c'est la traduction française qui rend les répliques moins percutantes et inauthentiques au possible, mais les paroles énoncées sonnent creuses. Le sentiment exprimé, on en perçoit la forme maladroitement dessinée sans en voir le fond. Je fais notamment référence aux frères Okamura sans qu'il ne s'agisse d'un cas exclusif.


Et à quoi bon une école d'exorcisme ? Quelle idée que d'essayer de nous faire croire que les personnages suivront des cours avant de restituer leur savoir alors que, d'avance, tous savons que leurs exorcismes, c'est à grand coups de pompe dans l'oignon qu'ils les administreront. Tout savoir dispensé auprès des personnages principaux le sera en pure perte. Ça ne manque d'ailleurs pas alors que les premiers antagonistes seront prestement défouraillés à grand renfort de douilles. Même un flic acquiert davantage de savoir théorique en suivant sa formation que n'en auront ici les exorcistes, c'est dire s'ils n'apprendront rien.
Cela, je le déplore, et pas qu'à moitié. Des cours véritablement utiles avec des incantations, des remèdes, des études de cas qui seraient plus tard appliqués dans des situations réelles auraient eu infiniment plus de gueule que des déballages de puissance brute lâchés à la gueule de l'Enfer tout entier.


Sans surprise, bénéficier du potentiel latent du prince des Ténèbres dans son ADN peut s'avérer ici utile alors que Rin en use et en abuse. Bien évidemment, il craindra que ce pouvoir ne prenne le dessus comme dans.... tous les Nekketsus usant de cette grosse ficelle scénaristique. Comme Ichigo craignant de devenir un Hollow, Rin serrera les fesses de peur de se retourner contre ses petits camarades. On a beau s'être enfoncé profondément dans l'intrigue, rien de nouveau n'est à répertorier ; ce n'est pas dans cette galerie qu'on dégotera le moindre filon.


Peut-être surprendrais-je quelques lecteurs de cette critique en vous apprenant que dans Blue Exorcist, les démons sont méchants. Je ne vous parle pas là de l'expression du Malin sournoise et insidieuse qui corrompt en séduisant ; ils sont juste connement méchants. Ce n'est pas tant une bataille entre deux factions dont nous sommes les témoins, mais d'une partie de chasse à cour à laquelle ne gibier n'est convié que pour s'en prendre plein la gueule.
Déjà que les protagonistes ne tirent pas leur épingle du jeu quand il s'agit de se faire apprécier, leurs adversaires ne suggèrent guère plus d'intérêt. Ne parle-t-on pas de «Sympathy for the Devil» dans les milieux dédiés ? Des milieux où l'idée du diable y est mieux présentée qu'ici. Le diable de Blue Exorcist, dans ses manifestations diverses, est loin d'être sympathique ou séduisant ; il n'est que ce méchant cruel et mesquin - c'est le diable me direz-vous - dont on ne retient rien si ce n'est sa cruauté pas même excessive. Je le trouve petit-bras le Prince des Ténèbres pour le coup. Il ne sera question que de ses modestes et médiocres subsides en guise d'apéritifs d'ici à ce que - récit prévisible oblige - on le retrouve comme antagoniste final. Rien n'est fait... mais ça se fera.


Je ne me serais finalement jamais senti investi ou même légèrement happé par le cadre de vie de l'Académie de la Croix-Vraie. Comme pour Assassination Classroom, le lecteur n'est pas convié à la synergie de groupe. Le rythme des cours, l'implication des personnages dans leurs études - ou en l'occurrence, leur non-implication - font qu'on se sent plutôt exclu de cet univers en principe concentrationnaire (c'est une école, donc une prison) duquel nous sommes les seuls évadés. C'est de très loin qu'on lit leurs aventures en classe. D'autres œuvres que j'apprécie aussi peu savent pourtant resituer cette atmosphère écolière ; je pense notamment à Harry Potter, référence toute trouvée en la matière. Comme quoi, même sans trop en faire, c'est possible à condition de s'appliquer à le faire.


Le festival des clichés - modérés, certes - continue à toute blinde. On se doutait que Rin sortirait la lame de son fourreau et contiendrait ses flammes pour vaincre Fujô-ô, des «situations de tension» faussement montées, il y en a à foison. J'en passe et des meilleures même s'il n'est question que du pire. Les grosses ficelles encore, les grosses ficelles toujours, ce manga n'est plus fait que de ça. Ce n'est plus un Shônen mais une broderie.


Shônen encore, shônen toujours, shônen hélas, les phases de destructions aveugles et cataclysmiques en guise de combat se tailleront la part belle. Je ne m'y serais pas trompé et, maintenant que toutes les cases sont cochées, je puis l'attester sans que la contradiction n'ait son mot à dire : c'est un Nekketsu-lambda que j'ai lu. J'aurais d'ailleurs pu le lire les yeux fermés et en retirer l'exact même contenu qu'en poursuivant jusqu'à son issue dernière que j'espère proche. C'est le propre des produits standardisés que d'être identiques en tous points à ceux sortis de la même usine.


Les Illuminatis ouvrent les portes de la Géhenne. Et moi qui croyais avoir fait le tour de tous les complots depuis ma lecture de Billy Bat. On croit avoir touché le fond et il se trouve pourtant toujours quelqu'un pour vous dérober le sol sous vos pieds. Une fausse porte vers l'au-delà, tout cela n'est pas non plus sans rappeler Full Metal Alchemist. Y'a pas de plagiat chez Kazue Kato, mais il y a des inspirations lourdes. Parfois même drôlement pesantes.


C'est terrible à dire, mais je n'ai absolument rien retiré de Blue Exorcist. L'œuvre a ici le mérite de ne pas - trop - forcer le côté immature et compulsif des Shônens contemporaines tout en embrassant cependant à pleine-bouche tous les poncifs du genre. Kazue Kato use des clichés plus ou moins habilement, en tout cas en s'efforçant de ne pas trop en abuser. Elle aura le mérite insigne de modérer pendant un temps les velléités martiales de ses protagonistes et de ne pas se perdre dans de constantes bastons à rallonges- bien que ces dernières ne soient pas en reste. Seulement, tempérer les défauts de son œuvre, ce n'est pas lui trouver des qualités ; l'auteur n'offre rien de nouveau en contrepartie. Elle aura beau contenir et endiguer ce qu'il y a de mauvais, si jamais elle ne propose rien de bon en retour, le pire prendra fatalement le pas sur le meilleur aussi longtemps que ce dernier comptera au rang des absents.
Blue Exorcist suscite quelques relents exprimés en demi-teinte au terme de sa lecture, un sentiment mi-figue mi-raisin sans la figue ou le raisin. Fade, mais comestible. Mais fade quand même.

Josselin-B
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le 2 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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