Un Shônen sur le football, il y en a qui se diront que c’est osé de passer après l’ineffable Captain Tsubasa ; que la comparaison à cette œuvre pionnière est de toute manière incontournable. Un peu comme ces religieux marxistes qui vous assurent que rien ne s’est écrit après Marx , si ce n’est des réflexions qui ne faisaient que confirmer ce qu’avait justement écrit Marx. À ce titre, beaucoup pourraient trouver un autre manga sur le football dispensable à moins d’avoir quelque chose de nouveau à apporter. La jurisprudence Slam Dunk fait foi alors que ce qui a suivi n’était pas bien fameux. Et je reste poli.


Penser cela, ce serait oublier d’une part que Captain Tsubasa n’est pas Slam Dunk. Emblématique, Tsubasa ne l’est qu'auprès d’une génération et seulement parce qu’il avait été novateur au milieu du désert. Son seul mérite ayant d’avoir été le premier, et non pas d’avoir été le meilleur. Mais l’œuvre n’a rien bousculé puisqu’elle était elle-même trop bancale pour ça. Inazuma Eleven et Ao Ashi, pour médiocre qu’ils étaient eux aussi, n’ont pas cherché à renouveler le genre ou même à se démarquer. Et pourtant, il y avait un créneau qui s’offrait à ceux qui avaient de la suite dans les idées ; un boulevard ouvert à l’innovation.


L’innovation ; le milieu du Shônen s’est un peu fâché avec le principe même que recouvre le terme. Cela ne fait que trop longtemps qu’on se contente de trop peu pour justifier que les auteurs s’emploient à formuler ne serait-ce qu’une once d’effort et d’inventivité. Mais après vingt ans de vaches maigres, on sent qu’un élan - celui-ci étant motivé par un besoin légitime et même instinctif de nouveauté - cherche à impulser une nouvelle dynamique dans l’édition Shônen.

Et cet élan, pour trouver sa voie, implique pour le Shônen de renouer avec une part de Seinen, mais une part seulement. La bonne, de préférence. Renouer car, les œuvres classiques catégorisées comme Shônen, comme pouvaient l’être Devilman ou encore Ashita no Joe, seraient aujourd’hui considérées comme trop mature pour une publication adressée à des douze ans et plus. Erreur que cela. Car à trop préserver la jeunesse de la moindre audace en matière de fiction, on bride délibérément son imaginaire. Il n’y a pas lieu de les pouponner ces jeunes lecteurs de Shônens, il faut aussi les secouer, quitte à les dépayser. Surtout si ça les dépayse.


Le football, a priori, ça ne dépayse pas son monde. Mais tout dépend de si l’on fait preuve ou non de suite dans les idées.

Muneyuki Kaneshiro, au scénario, a le mérite insigne d’être un auteur parvenu s’être illustré dans l’édition Seinen. C’est un profil qui a de quoi intriguer et peut-être même réjouir s’il tient les promesses que cela suppose. Parce qu’en définitive, sa présence au scénario implique fatalement qu’une trace de Seinen sera instillée dans un fond de Shônen pour lui donner davantage de consistance. Cela n'est néanmoins pas un gage de qualité assuré ; n'oublions pas que Fujimoto, aux manettes de Chainsaw Man, nous venait déjà du surestimé Fire Punch.


Le dessin, cette fois signé Yusuke Nomura, rappellera sans l’ombre d’un doute le trait élaboré et délicat de Sui Ishida quand celui-ci s’attelait à Tokyo Ghoul. Avec certains éléments du visage dessinés du bout du pinceau, des phases d’action admirablement retranscrites et des esquisses remarquablement travaillées, nous ne coudoyons alors plus avec un Shônen coutumier (coutumier étant dans ce contexte synonyme de « merdique »), mais une œuvre à part cherchant à frapper fort. Pour autant, cette puissance incontesable qui s’exerce, après avoir pris son élan, frappera-t-elle où il faut pour être pertinente ? Car c’est en ces termes que se situe l’enjeu de Blue Lock.


Oui, Blue Lock, par-delà son seul contenu, est tributaire d’un enjeu. Que ses auteurs m’excusent de placer tant d’espoirs et donc, de responsabilités sur l’échine de leur œuvre, mais si elle sort positivement du lot, un lecteur de Shônen est en droit – et même en devoir – d’en attendre énormément. Make Shônen Great Again je vous prie.

Le conseil d’administration de l’équipe japonaise, démissionnaire et véreux, rappelle sans l’ombre d’un doute les primo-antagonistes de One Outs.

Ce serait présumer de beaucoup et peut-être surinterpréter ce que j’ai lu à l’occasion du premier chapitre, mais j’ai cru déceler un petit message iconoclaste comme je les aime. Isagi, présenté devant le but, plutôt que de tirer et s’accaparer la tranche d’héroïsme qui incombe habituellement au protagoniste de Shônen, fait une passe à un équipier en soutenant que le football « est un sport qui se joue à onze ».



L’équipier vise à côté.


Je n’engage personne à partager l’analyse qui suit, d’autant que je n’aime pas surinterpréter ou lire entre les lignes dans un manga ou une quelconque fiction, mais j’ai le sentiment d’avoir contemplé un crachat de bon aloi venu recouvrir tout ce que le genre compte de poncifs sur l’amitié. La camaraderie, dans le Shônen, est toujours portée en étendard et portée sur un piédestal ; le salut n’advient que par là. Et voilà que cette belle camaraderie, cet esprit d’équipe si noble, finit par coûter une victoire décisive. Le discours de Jinpachi Ego consacre par ailleurs l’analyse que j’avais commencé à formuler avant qu’il ne la confirme.


Et puis le personnage principal a en plus pour modèle un joueur français ; ça ne peut que me frapper droit dans le chauvinisme. Je ne devine cependant pas de qui est inspiré Noël Noa dans l’équipe de France qui est ici présentée. C’est simplement un blond aux yeux bleus comme on en retrouve par douzaines dans notre équipe nationale ; difficile de savoir exactement de quel joueur il est tiré.


Le dessin accompagne divinement l’œuvre en chaque occasion, que ce soit sur le terrain ou bien en dehors. Outre l’inspiration du trait puisée chez Tokyo Ghoul, j’ai retrouvé, à maintes reprises, des proximité graphiques très prononcées se rapportant à Bleach, notamment pour ce qui est des visages de certains personnages. Oui, c’est plaisant à lire déjà rien que pour ce qui est de la forme.


Le fond, évidemment, rompt avec l’idéologie Shônen. Et pourtant – on va dire que je suis contrarien – moi qui abhorre les fadaises sur l’amitié, je me suis surpris à prendre finalement fait et cause pour Kira. Car je prends toujours fait et cause pour Kira. Dans ce contexte, je le suppléais volontiers quand celui-ci était le seul à ne pas souscrire à la profession de foi d’Ego Jinpachi. Ego, dont le personnage se conçoit comme un Hiruma à qui on aurait rajouté un surplus d’injustice dans le verbe et une pointe de cruauté dans les intentions.

Oui, je m’inscris en faux avec ce pendant inversé de la doctrine – car c’en est une – relative à l’amitié et la camaraderie. Un buteur doit être choyé, mais il convient d’admettre qu’il n’est finalement pas grand-chose sans qu’une passe décisive ne lui ait été accordée préalablement. Le football, c’est pas ma came, aussi ne me présenterai-je pas comme grand clerc de la discipline. Il n’empêche que la passe décisive n’est que trop occultée dans le milieu sportif alors que sa précision fait tout. Que voulez-vous, je révère plus volontiers les hommes de l’ombre que les personnalités étincelantes.


Vous savez ce qui fait un bon Nekketsu ? Je vous dirai que la plupart des auteurs de Nekketsu, aujourd'hui, l’ignorent. Aussi, c’est rien moins que la confidence des dieux que je vous accorde présentement petits veinard. Pour établir ce qu’est un bon Nekketsu, il fait définir en premier lieu ce qu’est un Nekketsu. Car le genre va au-delà des poncifs auxquels on ne l’a que trop relégué.

Pour faire un Nekketsu, avant même de faire un bon Nekketsu, il faut évidemment un protagoniste avec un objectif et qui s’en tienne à ce dernier. Bon nombre de héros de Shônens, à force de s’éparpiller, oublient leur rêve pour s’en rappeler quand le chapitre final leur revient en pleine gueule. Ce personnage est amené à rencontrer des compagnons, avec parmi eux des antagonistes plus ou moins larvés qui seront amenés à combattre à ses côtés. La ritournelle est bien connue ; Goku n’était effectivement entouré que d’anciens adversaires ou presque. Mais, ces éléments, un Nekketsu peut s’en émanciper tout en restant qualitatif.


Non, ce qui fait un bon Nekketsu, ce qui ne saurait être galvaudé en aucune manière, c’est de faire commencer le personnage principal de tout en bas, pour que, PROGRESSIVEMENT, celui-ci, grimpe les échelons un à un. Or, combien de fois le héros de Shônen a commencé en étant conceptuellement invincible comme cela s’était justement fait du temps de Captain Tsubasa ? À quoi bon suivre les aventures d’un personnage assuré de tout réussir ? Suivre le meilleur, c’est se garantir un ennui de tous les instants car à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.


Isagi est à ce titre un protagoniste dément et irrésistible pour ce qu’il a à nous apporter. Il ne peut en effet qu’être porteur de promesses engageantes alors qu’il entame l’aventure en étant classé 299 sur 300. Et quelle aventure mes amis ; car le football est finalement le dernier élément à considérer dans l’équation qui se jour ici. Le fait de ne pas avoir fait d’Isagi un personnage principal puissant mais partant de zéro et évoluant lentement ne rend ses victoires personnelles que plus méritoires et gratifiantes à la lecture. Et que dire de ses défaites.


Les jeux du Blue Lock sont vraiment prenants. Initialement. La scénographie, déjà aidée par un dessin au sommet, est savamment millimétrée. Le spectacle n’advient pas pour la finalité du spectacle mais s’occasionne chaque fois pour une raison. Que ce soit une partie de « chat » ou les épreuves avec hologrammes, tous ces exercices, transposés dans un cadre strictement footballistique, trouvent une raison d’être et une pertinence eu égard à ce qu’ils apportent sur le plan de l’entraînement. Les épreuves ne sont jamais gratuites car le résultat est toujours payant.

Chaque épreuve va évidemment bien au-delà du ballon puisqu’il se trouvera un ou plusieurs joueurs pour être éliminés à la moindre issue. Des personnages qu’on aura appris à apprécier. Tous, dans leur écriture, ont été élaborés. Pas de manière alambiquée ou superficielle à grand renfort de Flash Backs miteux, mais avec maîtrise et mesure, tout en dotant chacun d’entre eux de grands traits de caractère inhérents à ce qu’on peut attendre des figures de Shônen. Le genre n’est pas trahi et n’est pas abâtardi pour devenir un Seinen ; il se contente ici d’être ré-haussé pour gagner en relief sans toutefois que la cime ne se distingue jamais de la base. Blue Lock est un Shônen qui a su s’accomplir en tordant les codes sans jamais les enfreindre. One Outs, là encore, se dessine et, cette fois, plus distinctement. Le premier regard que j’ai pu porter sur le manga ne m’a décidément pas trompé quant à ses inspirations.


Et puisque ces personnages de Nekketsu trouvent le moyen d’être attachants, fatalement… on s’attache. Chose cruelle quand on sait qu’à l’issue du Blue Lock, il n’en restera qu’un. Se sentir investi pour les personnages en tant que lecteur rend l’expérience Blue Lock plus déchirante et donc, plus prompte à nous impacter. C’est effectivement en ce sens que beaucoup, par facilité – car les éliminations ne sont pas aussi fréquentes qu’on le dit - comparent Blue Lock à Battle Royale. À la seule différence qu’ici, il ne se trouve qu’un seul personnage auréolé de l’intrigarmure. Un protagoniste qui sait s’effacer et laisser place nette à la foultitude de personnages secondaires qui ne demandent qu’à être appréciés alors que, pour une fois, leur personnalité aura été écrite au-delà des archétypes étriqués et autres caricatures qu’offre le genre. De peu, cependant.


Blue Lock, sous couvert d’un titre sportif, s’accepte aussi et avant tout comme un Mind Game haletant. Entre tensions, tactiques et trahisons, un lecteur sain devrait y trouver son compte. À moins que son palais n’ait définitivement été altéré à force de se goinfrer de ce qui s’est fait de plus abject dans le milieu.


Il y a tout un système bien rodé, celui-ci articulé autour du classement afin d’encourager chacun à atteindre un meilleur rang ; ce qui implique d’être impitoyable en chaque occasion donnée, avec le lot de remords que cela suppose. Isagi n’est pas un tueur, et c’est justement ce trait de caractère compatissant qui le rend intéressant alors que le contexte lui intime de justement le devenir pour « survivre » au Blue Lock. Un personnage principal qui n’aurait pas de vergogne se baladerait nonobstant ses capacités sportives, mais un joueur qui rechigne à trahir avance face à des vents contraire. Ce qui, de ce seul fait, ne rendra ses accomplissements que plus méritoires.

Le Blue Lock ne se borne pas à une suite d’épreuves qui se poursuivent comme une succession de mailles dans une chaîne. Il y a des instants de repos où la place est laissée à la réflexion, à la convivialité parfois, et à l’exacerbation des tensions entre joueurs, ceux-ci étant tous à la fois rivaux et partenaires.


Le système de points qui permet à celui qui en obtient dix de sortir rappellera Kaiji quand celui-ci était réduit à l’esclavage par la Teiai. Partout, on retrouve la trace d’autres mangas – des Seinens pour la plupart – réputés pour le Mind-Game qui les constitue. Blue Lock n’a pas été écrit au gré du hasard. Bon sang, si un jour on m’avait dit qu’un auteur me ferait baver devant du football. Que les béotiens du ballon rond se rassurent, l’œuvre plaira à tous, amateurs et profanes au même titre.


Tous les postes au football finiront par avoir leur éclat, il n’y en a finalement pas que pour le buteur, ce que j’appréhendais âprement, mais à tort heureusement. Les matchs étant amenés à être joués impliquent que chacun occupe un poste défini de sorte à ce que les tactiques de jeu puissent tenir leurs promesses. En dépit de la doctrine Ego, le travail d’équipe est forcément privilégié et le sacrifice au profit de l’équipe trouve le moyen d’être à l’honneur. Le juste équilibre a été trouvé entre l’esprit de camaraderie et l’héroïsme.


Toutes les équipes adverses que nous serons amenés à rencontrer, du fait qu’elles comprennent chacune onze joueurs, ne pourront pas être développées dans leur intégralité. Les figures marquantes de chaque équipe, néanmoins, trouveront le moyen de s’imposer sans peine avec une menue cohorte de personnages tertiaires qui, eux aussi, trouveront leur place comme figures récurrentes. La gestion d’un tel panel de personnages est proprement impressionnant, d’autant que l’exercice n’est pas aisé à raison de onze joueurs par équipe. Quand Captain Tsubasa ne pouvait pas même développer plus de la moitié de sa propre équipe, les caractères et les spécificités de tous sont ici établis en deux volumes de temps pour être approfondis par la suite. Il n’y a simplement rien à redire sur la narration ; elle s’occupe de tout et ne laisse rien au hasard.


Le fait d’évoquer les Atouts de chacun et de leur accoler continuellement finit par sonner comme un véritable pouvoir à part entière. Un pouvoir crédible – complaisamment exacerbé pour la finalité du spectacle évidemment – mais qui permet à chacun de sortir de l’ordinaire. Chacun possède ici son « stand » en matière de Football ; une arme qu’on ne choisit pas mais dont il faut savoir tirer le meilleur parti afin de s’accaparer la victoire. Oui, décidément, Blue Lock est un Shônen qui a su polir jusqu’au moindre ersatz de surface afin de s’accepter comme tel et embrasser son identité à pleine bouche. C’est un petit plaisir de lecture qui ne se boude en aucune façon.


Quand, après une longue période de camaraderie, on ne pense plus aux enjeux du Blue Lock, quelques dures réalités, souvent transcrites sous forme de trahison, viennent remettre le lecteur sur le droit chemin. Les coups dans le dos, ça fait plus mal qu’ailleurs quand on ne les voit pas venir. Et l’écriture les dissimule bien même si la narration aime nous distiller quelques indices afin que les coups de surins ne viennent pas de nulle part. Si les coups de pute sont si précis, c’est parce qu’ils nous viennent droit de ceux en qui tous, y compris le lecteur, pensent avoir confiance.

Bon sang, un joueur qui change carrément d’équipe en cours de match, c’est aussi savoureux qu’inouï.

Les Flashback, sans être rédhibitoires, en sachant écourter leur temps de séjour, m’indisposeront toujours. À une exception près, bien entendu. Je ne peux m’empêcher de tenir le procédé comme un acte de fainéantise notoire. On peut très bien narrer ou même évoquer un passé plus ou moins allusivement sans nous le glisser tout cuit dans la bouche. J’estime qu’un Flash Back ayant vocation à approfondir un personnage est finalement un moyen artificiel de construire ce dernier. D’où ma réprobation. Réprobation d’autant mieux justifiée que chaque Flash Back marque une pause dans un récit qui cheminait au pas de course. À la réprobation, alors, s’agrège un rien de frustration à la lecture. D’autant que ces incursions dans le passé, en plus d’être inconvenante pour les aspects précédemment cités… manquent d’intérêt et de pertinence. Entre le joueur blessé qui a perdu confiance en ses capacités suite à sa convalescence (Mitsui de Slam Dunk vous salue), le joueur qui, parce qu’il est trop exigeant, ne trouve pas de partenaires de jeu à sa hauteur (Mizumachi de Eyeshield 21 vous passe le bonjour) ou bien le gosse de riche et son meilleur ami qui cherchent à obtenir un titre malgré l’opposition du père friqué (Tetsuma et Kid de Eyeshield 21, ça parle à quelqu’un ?), tout ça et bien d’autres choses, non seulement ça trouve déjà le moyen d’avoir été fait ailleurs, mais ça n’est même pas vaguement intéressant. Quand un Flash Back s’annonce, les rotatives s’arrêtent, la machinerie Blue Lock n’est plus à chaud. Et de là, il lui faut du temps pour repartir sur les rails à vive allure.


L’arrivée de Nagi – pas le présentateur, non – instaure un début de règne que l’on souhaite voir écourté au plus vite. Le coup du prodige à même de multiplier les prouesses gymnastiques et les retournées acrobatiques ; j’espérais ne pas voir ça ici et j’ai eu le malheur insigne de l’apercevoir dès le quatrième tome. J’entendais bien me retrouver spectateur de quelques prouesses improbable pour mieux garnir le rendu, c’était fatal, et je m’étais fait à l’idée. Mais il faut savoir raison garder. Or, les bornes de la raison, en certaines occasions, auront été outrepassées trop exagérément.


D’autant que certaines victoires se doivent à la force de la volonté bien plus qu’à la tactique. Il va de soi que les mauvais travers du Shônen ne pouvaient être occultés dans leur entièreté, mais j’avais espoir de les voir réduits à une portion plus congrue. Lentement, j’ai le sentiment que Blue Lock se compromet et que le Shônen reprend ses droits sur les quelques gouttes de Seinen dilués dans la concoction. Il y avait un équilibre de trouvé, mais comme tout équilibre, celui-ci est précaire. Il s’en faut de peu pour le faire basculer. Mais je tends à oublier qu’il est question de sport et que, dans ces circonstances, tout ne se joue évidemment pas à l’intellect. Mes exigences sont simplement démesurées, je voulais simplement y croire à ce fantasme de la tactique pure dans le sport ; à la réminiscence aboutie d’un One Outs établi dans le milieu du Football.


Je craignais bien assez tôt que le manga ne soit plus à propos que de matchs classiques, mais la deuxième sélection m’a rassuré en ré-aiguillant le manga sur les bons rails. Car il ne faut jamais oublier que Blue Lock trouve aussi et avant tout son attrait dans le fait qu’il aille bien au-delà du football conventionnel dont des œuvres pléthoriques ont jusqu’à ce jour dessiné jusqu’au dernier contour. C’est ce qu’il y a de neuf qui attire ici ; l’innovation et, bien sûr, ses multiples agréments permis autant par la narration que le dessin et l’écriture.


Les épreuves qui impliquent de voler un joueur à l’issue de chaque victoire constituent vraiment une manière de rendre le récit trépidant, le tout en amassant de nouveaux alliés comme cela se pratique dans un Nekketsu combat coutumier. D’autant que la manœuvre, dans ce qu’elle suppose du fait de ses règles, prête potentiellement le flanc des protagonistes à la défaite tout en promettant de changer le paradigme et la synergie de l’équipe après chaque match. On n’oublie jamais la tactique. Le genre a vraiment été réadapté sublimement mais sans qu’une virgule de ses codes ne fut violées en aucune façon. La transposition est simplement brillante : partir d’idées simples pour aboutir à une exécution grandiose en créant chaque fois le doute sur la perspective d’une victoire. Dé-lec-table. Les matchs à trois joueurs m’auront par ailleurs immanquablement rappelé les matchs de World Trigger, aussi bien dans le principe que la narration.


Les matchs ne s’éternisent jamais afin de ne pas abuser de l’hospitalité que le lecteur leur accorde dans leur esprit. On approfondit ce qu’il faut sans s’abandonner au superflu pour passer à autre chose. Savoir trouver la juste alchimie entre l’amour de l’instant présent et la dose de changement nécessaire pour prévenir la sclérose, c’est un procédé chimique assez difficile à calculer, surtout quand il est question de sport ; la formule est ici concluante.


Nagi fut intelligemment bridé par la narration alors qu’elle lui accordait davantage d’importance. Kaneshiro devinait sans doute qu’une plongée, même d’un orteil, dans ce qui fait la démesure d’un Shônen conduisait immanquablement à une succession d’errements inspirés de l’hubris créatif. Alors Nagi aura su faire oublier qu’il était un prodige pour se contenter d’être un excellent joueur. Du reste, tout ce qui se rapporte aux manœuvres techniques impressionnantes savent être mesurées et appréciables. On tempère le salto, on l’oblitère même, et on donne plus volontiers le beau rôle à un jeu de jambe travaillé. De même, les Flash-Backs sont écourtés à commencer par celui de Barou, justement afin de s’imbriquer comme il se diut dans l’intrigue et ne jamais la ralentir. Quand Blue Lock chancelle, même de peu, Kaneshiro et Nomura sont là pour l’aider à se ressaisir. Ils sont rares les mangakas à se montrer aussi consciencieux avec leur création. Ceux-là agissent plutôt comme des parents démissionnaires laissant vaquer leur progéniture sans contrôle jusqu’à la pourrir au dernier degré. Sa postérité, Kaneshiro en prend soin, et cela se sent à chaque page qui se tourne.


Les allégeances et les équipes fluctuant au gré des épreuves, les alliés de la veille deviennent les ennemis du lendemain. Ceux qu’il était rassurant de savoir aux côtés d’Isagi sont terrifiants une fois qu’ils lui font face ; et vice versa. Le changement de perspective est perpétuel et délicieux, bouleversant ainsi les angles d’approche sans finalement ne rien changer au récit.

À bien y regarder de plus près, la doctrine énoncée par Ego ne contrevient pas aux préceptes énoncés par les Shônens classiques ; elle les viole. Le discours sur le mensonge de ceux qui cherchent à combattre bien qu’ils éprouvent du désespoir est un violent revers semblant répondre directement à Captain Tsubasa et ses affidés idéologiques. Il n’y a pas un millimètre carré qui soit ici accordé aux bons sentiments et, ce qui tient de l’impitoyable, en l’état, n’est jamais injuste. Avec Blue Lock, on redonne ses lettres de noblesse à l’ordre naturel. Et l’ordre naturel, il est pas sympa ou bienveillant : il est simplement logique et incontournable. Soit on apprend à faire avec, soit on le nie et, bien assez tôt, une dure réalité vous rattrape pour vous laisser en charpie. Bon Dieu, voilà des messages qui font plaisir à lire.

Le récit ne se laisse pas aller aux prévisibilités d’usage. Lorsqu’il a le choix entre un ancien coéquipier et un joueur puissant mais n’ayant aucun esprit d’équipe, Isagi ne fait pas le choix de l’amitié mais de l’efficience. De même, quand on croit l’heure de la revanche venue après le deuxième match contre l’équipe de Rin, la victoire leur est arrachée quand elle leur effleurait les ongles. La perspective de la défaite, plus encore quand elle se concrétise, contribue grandement à renforcer les enjeux et la tension éprouvée par le lecteur à chaque match qui se présente. Le parcours d’Isagi lors de la deuxième épreuve, l’évolution de son équipe, tout ça fut aussi imprévisible que souhaitable. Des choix ont été faits quant à la narration de ce qui nous est rapporté, et tous furent de bons choix. Le sans faute.


Et quand on pensait les facéties de Nagi loin derrière nous, voilà que Shidou entre en scène. Le cirque Pinder en représentation footballistique ; rien moins. Avec, en parallèle, le match contre l’équipe de joueurs étrangers. Là, l’hubris, on ne la côtoie plus, on la drague, on l’invite à dîner et, en fin de soirée, on couche avec sans préservatif. Et je ne vous parle pas de coucherie suave et attentionnée ; y’a du sale dans l’idée. Faire affronter des joueurs de ligue 1 (dont le Français est je pense inspiré de M’bappé) à une équipe de cinq Japonais demi-pro en formation ; ça tombe mal. On retrouve assurément les fantasmes d’un auteur qui, à force de trop aimer regarder le foot professionnel, a ressenti le besoin compulsif de l’inclure dans sa partition. Grave erreur que celle-ci ; rédhibitoire, même. Avec en plus, en introduction, la petite pique des Gaijins arrogants qui sous-estiment les Japonais parce que Japonais. Dieu sait que je ne tiens pas les joueurs pro dans mon cœur, mais je doute qu’ils soient mesquins à ce point. D’autant que la carrure physique ne fait pas tout dans ce sport. M’enfin, j’imagine qu’il fallait copier Eyeshield 21 une fois de plus en oubliant de gommer ce qui dépassait. C’était en tout cas un gros point noir ; un de ceux qui préfigurent en plus une récidive puisqu’on reverra des joueurs étrangers casser à nouveau la synergie des personnages Japonais suivant les épreuves du Blue Lock. Ces étrangers n’avaient décidément rien à faire là. Vous imaginez Battle Royale mais avec, en milieu de parcours, l’armée américaine qui se joint à la partie sans s’être annoncée ? Bon, ça existe et ça s’appelle Btooom!, mais ce précédent a au moins le mérite de démontrer que l’idée est loin d’être fameuse. Le match ne donne même pas envie d’être lu et, se forcer à les suivre ne récompense pas le lecteur qui se le sera infligé. Heureusement, le premier match contre eux fut court.


Et non content de nous avoir fait une frayeur avec ce court et malheureux passage que l’on souhaitait retenir comme une simple parenthèse honteuse, il est à nouveau question de démesure. Voilà qu’il est question d’affronter l’équipe nationale japonaise afin de maintenir le programme Blue Lock à flot. Le programme Blue Lock y survivra assurément – l’enjeu étant tel que les protagonistes sont obligés de gagner en se laissant porter par la narration – mais le manga Blue Lock, lui, en pâtira. Trois-cents joueurs. Il y avait à la base, trois-cents joueurs dans ce Battle Royale à ballon rond, et on a cependant considéré comme judicieux d’en rajouter par dessus. Et du copieux ! Copieux, mais pas consistant. L’équipe nationale, comme les joueurs de ligue 1, font figure d’intrus. Des intrus dont on sait qu’ils seront éliminés.


Mais d’ici à ce que n’advienne ce match, les confrontations internes du Blue Lock restent intense entre les 35 participants restants. Et c’est à cette issue que l’U-20 intervient, l’équipe nationale japonaise. Un pur désastre, déjà conceptuel. Les personnages n’ont aucun charisme, la plupart d’entre eux sont clownesques jusqu’à leur apparence physique… ils n’ont vraiment rien à faire dans Blue Lock. Qu’on m’excuse d’insister, mais ils sont de trop dans l’intrigue, tombent comme un cheveu dans la soupe et n’ont rien à apporter si ce n’est un enjeu artificiel. Artificiel car aucune place n’est accordée à la défaite du point de vue de la trame. Aussi… avec la victoire comme seule perspective et, en face, une équipe de personnages insipides présentés pour la seule finalité de créer une adversité de synthèse - même avec une excellente exécution de la mise en scène fidèle à elle-même mais qui parfois en fait de trop - un lecteur trouvera légitimement matière à s’en décevoir. D’autant que la bagatelle nous dure plusieurs tomes de temps. C’est de trop dans ce contexte. Bien trop.

Et puis, pousser le vice jusqu’à départager l’équipe avec un but décisif du personnage principal durant les dernières secondes de jeu : la dose de Shônen déborde, l’équilibre est définitivement rompu. D’autant qu’après, par hasard, les membres de l’U-20 et les de Blue Lock se tombent dessus le temps de leur permission. Que tout cela est abominablement mal amené.

Et la phase 2 de Blue Lock n’est plus qu’à propos de joueurs étrangers – parce que 35 participants ne suffisaient apparemment plus – de confrontation spectaculaires sans tactique mais avec beaucoup de blabla et de shôneneries d’usage dont on se lasse bien vite. L’originalité du manga s’est estompée, mais d’un coup d’un seul, et sans perspective de redressement. L’un des travers du Shônen étant que des séries vouées à se terminer prématurément ont de beaucoup surpassé leur date de péremption. Passé la deuxième épreuve, Blue Lock, ça redevient un Shônen classique où tout y est fade et sans créativité. Chassez le naturel… j’en déduis que les quelques gouttes de Seinen initialement versées se sont progressivement évaporées.


Les lecteurs de longue date se souviennent-ils seulement que Blue Lock est un Battle Royale ? Ils ont bien du mérite si tel est le cas, car voilà une paye qu’aucun joueur n’a été éliminé. Si Blue Lock a méchamment périclité, c’est parce qu’il a dévié de la voie qu’il s’est tracée. Le renouveau du Shônen est ajourné ; Kaneshiro aura relâché la barre à l’usure et l’usure m’aura fait lâcher son œuvre à laquelle je m’étais pourtant cramponné à pleines poignes.

Josselin-B
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le 17 mars 2023

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Josselin Bigaut

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Il s'agit là du premier dix que je suis amené à délivrer pour une des œuvres que je critique. Et je n'ai pas eu à réfléchir longuement avant d'attribuer pareille note ; sans l'ombre d'une hésitation...

le 17 janv. 2020

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