Critique, extraits et bonus: https://branchesculture.com/2016/11/11/blue-note-bd-prohibition-new-york-mariolle-bourgouin/
Dans le théâtre de la nuit new-yorkaise, les vapeurs des derniers alcools prohibés forcent le voyage dans le temps. Dans les fumées et la frénésie des spekeasies, les destins des hommes se croisent. Certains s’allient, d’autres se détestent, mais à tout moment la trajectoire peut dévier. Avec les deux tomes de Blue Note, Mathieu Mariolle et Mikaël Bourgouin nous entraînent dans cette ville fantasmée où les derniers mafieux règlent peu à peu leurs soldes. Times they are a changin’, et tant sur la partition que sur un ring de boxe, les deux auteurs traquent deux destins bien différents, tout petits face à cette ville monumentale, mais profondément inspirés par l’idée de la liberté. Une bonne idée suivie d’une autre: Dargaud vient d’éditer l’intégrale de ce récit en deux tomes.
Résumé de l’éditeur: New York : le charme puissant des speakeasies, où l’on peut trinquer jusqu’à l’aube et courtiser les jolies femmes. Où l’on s’enivre au rythme des notes de jazz scandées par les meilleurs musiciens du moment… Blue Note nous entraîne, à quelques jours de la fin de la prohibition, dans une ville gangrenée par l’alcool et la Mafia – là où un boxeur et un jazzman ont rendez-vous avec leur destin…
New York, New York, le rêve ultime, la ville qui incarne le rêve mais sait aussi faire et défaire les réputations. Et en cette fin de la prohibition, à l’heure de l’irrémédiable changement, un coup de poing ou un coup de gratte peut être salutaire comme fatidique. Jack « Wonderboy » Doyle le sait déjà, RJ va l’apprendre à ses dépens.
Le premier, Jack, est un vieux de la vieille, un monsieur muscle qui s’est taillé une solide réputation sur les rings à force d’adversaires usés. Toutefois subsiste le doute que ses victoires de prestige n’aient été que de vulgaires arrangements pour pari truqué. Quoiqu’il en soit, d’un ultime crochet, Jack a tourné la page. Du moins, il le pensait jusqu’à ce que Théo resurgisse pour lui proposer la belle. Celle que, malgré lui, Jack ne peut refuser.
De son côté, JR arrive dans celle qu’on ne surnomme pas encore la Big Apple comme on pourchasse un rêve de gosse et en forçant un peu le destin. Venu de la campagne misérable, ce jeune Afro-américain se verrait bien guitariste et jazzman comme ses idoles. Et celui qui semble tout droit sorti de l’adolescence a une arme implacable à faire valoir: un doigté ahurissant. Ne lui manque plus que la voie pour créer ses propres compositions. Et pour le moment, JR est en blocage. Mais sans doute que la confiance, la belle place que lui offre Vincenzo, un terrifiant parrain, dans son bar et l’adulation toute proche vont-elles changer la donne? Encore faut-il ne pas tomber dans les pièges des rivaux du truand en question et lui rester fidèle. Et quand on rêve de liberté…
Dans l’ombre du premier, il y a le second. Dans l’ombre du second, il y a le premier. Des coins de cases, des arrière-plans tout au plus. Il n’est pas question que les deux héros se lient d’amitié. Pas du tout. Et si Jack plonge dans le premier bar qui sert autant à boire que quelques mélodies d’un jazz vibrant comme coeur de l’Amérique, RJ ne s’éprend pas plus que ça de la boxe. Et les rendez-vous manqués entre ces deux héros sont fondateurs de cette oeuvre en deux volets. Si les deux tomes pouvaient se lire de manière indépendante, il est un fait que tous deux se renforcent et apportent un niveau de lecture supplémentaire.
Mêlant histoire et fiction, Blue Note est une plongée dans l’Amérique des années 30, pas si loin et pourtant si datée. L’heure est à tous les possibles et les deux auteurs bâtissent à mains nues leur rêve américain. Et quel rêve. Cette vision fantasmée, lancinante et quasi fantastiques sonne comme un uppercut lancé par Jack Doyle en personne. On est sous le choc de la beauté qui se dégage du trait imparable de Mikaël Bourgouin. Dantesque et à se damner. Sur un scénario taillé sur mesure pour laisser place à l’envoûtement, le dessinateur se révèle aussi habile à représenter les deux sports de combat que sont la boxe et la musique. Deux disciplines a priori sans lien mais que les gênes de la liberté vivifiante viennent fédérer.
À l’aide de cadrages avec vue imprenable sur le drame qui se joue et des double-pages chimériques de toute beauté, Blue Note est un chef d’oeuvre, inattaquable. Les deux auteurs n’ont plus rien fait ensemble depuis, mais cette intégrale sans bonus ni rajout mais avec l’essence et la puissance originelle vient prolonger un plaisir précieux.