Le saviez-vous ? Les premières Tortues Ninja des comics étaient bien plus sombres que leurs récréations télévisées.
Mais avec Bodycount, sorti en 1996, récemment édité chez nous (putain, merci), les compteurs sont remis à zéro, pour une explosion décomplexée de violence, un coup de poing dans la face réparti sur 4 numéros, comme un film d’action sans fin qui aurait passé les portes de la censure le doigt d’honneur provocant en étendard.
Kevin Eastman scénarise (un grand mot) le bouzin, lui qui a co-crée les testudines mutantes en 1984, mais qui s’était un peu dégagé de la partie créative suite à leurs succès interplanétaires. En 1990 il fonde Tundra Publishing, l’un des premiers éditeurs où les créateurs conservaient les droits sur leurs créations, deux ans avant le succès d’Image Comics. Au sein de cette structure des auteurs renommés (Alan Moore, Neil Gaiman, Dave McKean, Mike Allred, Scott McCloud) furent publiés, mais Eastman participa aussi à la fête avec The Melting Pot (inédit en France, hélas), en collaboration avec Simon Bisley, qu’on retrouve ici.
Et c’est bien pour ça que Bodycount ne peut pas être une histoire classique, qu’il n’allait pas caresser le jeune fan biberonné aux dessins animés, car Simon Bisley est un ouf, un maître de l’exagération et de la folie visuelle, qu’on a déjà pu apercevoir en France avec ses Slaine, Lobo ou ses Judge Dredd, pas des bd de petits miquets. Si Simon Bisley se montre plus discipliné pour ses superbes illustrations en peinture directe, quand il a le crayon dans la poche, tout est possible. C’est ce qu’évoque ainsi Kevin Eastman dans sa préface, comment son histoire a été « simonisée », accentuant la violence exagérée, mettant des petits personnages caricaturaux ou grotesques dans les recoins des pages, dans des compositions parfois surexcitées.
On n’entre pas dans du Simon Bisley comme dans du velours, c’est un trait à la fois punk mais aussi très 90’s, dans son virilisme d’un autre temps, avec son gore éclaboussant, ses gros muscles, ses armes à feu mais aussi ses femmes plantureuses aux seins rebondis. C’est du « rentre dans le lard », et l’histoire n’est qu’un vague prétexte, entre un mercenaire au katana tranchant et à la queue de cheval agile et au bouc acéré (so années 90) et Midnight, son ancienne partenaire, accusée d’avoir été la taupe d’une organisation mafieuse et qui veut sa revanche. La caution des Tortues Ninja est bien maigre, avec Raphael et Casey Jones comme personnages un peu entraînés malgré eux dans cette course poursuite bourrine. Eux ou des créations originales et cela n’aurait probablement pas changé grand-chose, d’autant qu’ils n’ont pas grand-chose à offrir, à part leurs muscles, même si la tortue s’en sort mieux avec son humour et tout un axe sur son addiction aux armes à feu.
Vaguement inspiré par les films de John Woo, « Bodycount » porte bien son nom, et le fantasque Simon Bisley s’y donne à coeur joie. Quelle autre production vaguement estampillée Tortues Ninja peut se vanter d’une telle débauche d’entailles, de sangs, d’énucléations et autres petits plaisirs visuels ? Un ride assez basique mais à l’adrénaline agitée, à la provocation explosive, une curiosité éditoriale déjà outrancière dans les années 1990, dont le décalage aujourd’hui est encore plus jouissif. Sa parution en France chez un Vestron plus habituée à des histoires classiques de licences est un adorable coup de boule dans la gueule, merci, ça remet les dents en place.