Bokurano, notre enjeu par Liehd
Depuis le désormais aussi mystique que mythique (non sans d'excellentes raisons) Neon Genesis Evangelion, il semble devenu impossible de se mettre aux commandes du moindre robot géant justicier sans avoir derrière soi une longue et productive psychothérapie intensive. Finis, les géants destructeurs indestructibles aux fulguropoings d'acier ! Fini, le dézinguage d'aliens belliqueux à tire-larigot avec fiesta triomphale de rigueur autour d'un feu de bois et d'un sac de chamallows. Las de jouer la partition, le Japon semble bien décidé à tordre le cou à ses idoles de tôles et de boulons, qui sont pourtant toujours restées extrêmement populaires.
Dès son sous-titre introductif, Bokurano ("notre enjeu") s'inscrit explicitement dans cette mouvance de déconstruction, de trahison rageuse, et il s'en donne à coeur joie en terme de contournements névrotiques et autres dérives existentielles.
Dans Bokurano, tout commence pourtant de manière classique :
Quinze collégiens en classe de mer, livrés à eux-mêmes, entre amitiés sincères et vaines bouderies, rêves de futurs et souhaits d'enfants, qui décident d'explorer une grotte qu'ils ont découvert à flan de falaise, où ils s’enfoncent jusqu'à atteindre une lumière à l’extrémité. Mais il ne s'agit pas d'une lumière naturelle. Ils y découvrent le laboratoire informatique d'un concepteur de jeux vidéos excentrique et lunaire prénommé Kokopelli, lequel les invite à tester sa nouvelle création. Mais alors qu'ils acceptent, enthousiastes, tout se brouille et ils se réveillent sur la plage, comme s'il ne s'était rien passé. Ils ont beau vérifier, il n'y a rien au fond de la grotte. Cependant, alors qu'ils s'apprêtent à reprendre le fil décousu de leur existence, un robot géant y fait son apparition pour affronter une créature étrange, venue d'on ne sait où, à peine plus monstrueuse que lui... Et bientôt, c'est à eux que revient la responsabilité de piloter l'énigmatique appareil pour repousser les fameux quinze envahisseurs annoncés par Kokopelli... Sans jamais cesser de se demander : tout cela n'est-il bien qu'un jeu ? Et si oui, de quel ordre est-il ?
En écho aux fausses notes semées ici et là, tout bascule dans le drame dès les trois-quart du premier volume, avec le décès aussi brutal qu'absurde de celui que l'on voyait déjà comme le héros principal de l'intrigue. Dès lors, rien ne va plus, la mécanique se grippe, tout sombre peu à peu dans le glauque ; les névroses de ce petit monde refont progressivement surface pour éclore aux commandes de ce qu'ils ont rebaptisé Zearth, démembrant presque littéralement l'idée qu'un pré-ado pourrait sauver le monde s'il y était amené, d'une manière ou d'une autre. On ne peut d'ailleurs s'empêcher de lire entre les lignes moquerie et condescendance de la part d'un dessinateur au style léger, enlevé et épuré, auquel un encrage nerveux donne tout le sérieux et le charisme de rigueur. Question ambiance, on pense inévitablement à Evangelion, mais aussi à Death Note pour le côté malsain et à XXth Century Boys pour l'énigme à tiroirs...
Est-ce réel ? Est-ce un jeu ?
Tout cela tient-il de l'exercice de style pour la forme ou de la seule provocation gratuite, ou y a-t-il un sens caché entre les espaces des phylactères ?
Affaire à suivre... mais âmes sensibles s'abstenir.