Leçon de physique quantique, appliquée au cinéma :
L'expérience est simple. Enfermez huit acteurs de seconde zone, cinq nuits d'affilée, dans votre pavillon de banlieue, isolez-les de l'extérieur, installez-les confortablement dans votre séjour, laissez-les taper dans votre frigo et descendre vos bouteilles de champ'. En contrepartie, ne leur laissez ni script, ni moyens, ni matériel. Puis éteignez les lumières. A un moment scénaristique donné, que nous nommerons "m", un dispositif narratif va se déclencher et transformer la paisible petite soirée entre amis en huis-clos de cauchemar. Dès lors, l'exercice de style se trouvera suspendu dans un état dit "d'indétermination", et il le restera aussi longtemps qu'un observateur extérieur n'ouvrira pas la boîte (du DVD). Escroquerie ou chef d'oeuvre, c'est à ce spectateur seul qu'il reviendra de choisir sa réalité, sitôt que défileront les premiers noms du générique.
Une chose est sûre : Coherence ne fera pas l'unanimité. On pourra en effet s'agacer autant que s'enthousiasmer de partis-pris artistiques radicaux, à commencer par l'esthétique "caméra à l'épaule", les focus anarchiques ou la place importante laissée à l'improvisation, avec tout le chaos de son et d'image que cela suppose (chaos qui, cependant, sert le propos). En dépit d'une conclusion timorée (mais dans les règles de l'art), et d'une tendance au bavardage qui découragera les hollywoodistes convaincus, l'oeuvre réussit le tour de force d'installer une ambiance authentique, intrigante, avec trois bouts de ficelle, quelques sticks luminescents et une raquette de ping-pong. Il y avait bien longtemps qu'un réalisateur n'avait pas su entretenir une telle tension "aux frontières du réel", ni revenir avec un tel brio aux racines historiques du fantastique.
Bien qu'on comprenne vite de quoi il retourne (le film n'en fait pas mystère), on se préoccupe moins du "quoi ?" que de ses conséquences. A tout moment, le récit peut basculer... mais dans quel sens ? L'horreur n'est jamais loin, elle rode en ombre, dans les coulisses, informe, discrète, hors champ. On la devine, on la suppose, on l'anticipe - à moins qu'on ne fasse que l'imaginer ? A l'instar des personnages et des acteurs au-delà, on n'en sait trop rien. Alors pour peu qu'on s'y laisse prendre, on s'angoisse, on retient son souffle, on reste aux aguets, sur le fil du rasoir.... en vain. La longue nuit peut s'éterniser jusqu'au matin libérateur, sans un drame, sans un cri, ou bien la lumière peut ne jamais revenir, la folie peut s'insinuer, la tragédie couver, l'univers disparaître. L'intrigue elle-même passe d'une indétermination à une autre, si bien qu'on vit la situation plus qu'on y assiste : tout est possible, sans exception. Le film est une boîte dans la boîte.
Qu'on trouve l'essai bigrement malin, ou trop creux - simple question de goûts et d'attentes -, on sera obligé de reconnaître que pour un long métrage réalisé en moins d'une semaine, sans argent, dans la maison du réalisateur (et dans l'urgence, sa compagne pouvant accoucher à tout moment), le résultat relève du coup de maître. Dans ce registre marginal, il ne se distingue que plus avantageusement d'un Man from Earth ou d'un Artefacts dont il n'a (respectivement) ni la touchante maladresse, ni la prétention mal placée. Plutôt que de subir ses limitations ou de chercher à les faire oublier, il s'en fait un atout et les place au coeur du projet. Avec succès. Démontrant par l'exemple qu'il est possible de réaliser un grand film de genre, complexe et stimulant, avec rien (ou si peu) en poche.Que c'est à la portée de tous et de toutes. Que seul le talent compte. Au-delà : que les milliers, millions, milliards ne pourront jamais remplacer une bonne idée.
Alors qu'est-ce qu'on attend ?