Il m'a fallu un certain temps pour encaisser le choc. Bonne Nuit Punpun est arrivé comme un miracle dans ma vie. C'est en me baladant dans le top des BD préférés que mon œil a été attiré par cette couverture jaune. Si elle n'avait pas été de cette couleur, aussi vive, je n'aurai sûrement pas remarqué cette BD.
Le temps de finir ce que j'avais à lire, j'avais conservé un lien de scan de Bonne Nuit Punpun bien au chaud dans mes favoris, attendant le jour où je pourrai lire ce manga. La seule raison pour laquelle je m'y suis mis, c'est pour ce résumé, aussi con qu'attirant.
Alors je m'y suis mis, simplement. Et je n'ai plus lâché Bonne Nuit Punpun. J'ai été happé, le monde autours de moi n'existait plus. J'en étais à abandonner toute autre activité culturelle, j'abandonnais mon visionnage des Cités d'Or, j'arrêtais de jouer à ma console, j'arrêtais de lire mon Stephen King, j'arrêtais même de jouer à la guitare, tout le temps libre que j'avais, je le consacrais inlassablement à lire Bonne Nuit Punpun.
Et pourtant, je ne saurai dire ce qui m'a accroché dans cette BD, je serai même incapable de la conseiller convenablement à quelqu'un, et après tout, est-ce vraiment une BD qu'on peut conseiller ?
Car bien que j'ai été aspiré par Bonne Nuit Punpun, j'ai détesté le lire. J'ai navigué entre les émotions, j'ai été heureux comme j'ai pleuré, j'ai été énervé comme j'ai été terrifié, j'ai vécu toutes les émotions qu'on pouvait vivre face à une œuvre. Je pense que pour apprécier ce manga tel quel, il faut s'y plonger volontairement, loin de toute recommandation.
Bonne Nuit Punpun n'a pas de récit précis. On suit Punpun, qui n'est même pas un vrai personnage, il est moi. J'entre enfin dans le vif du sujet, il est impossible de savoir qui est Punpun. Il est un oiseau dans un monde, un oiseau qui ne parle jamais à travers une bulle, à chaque dialogue, ses dires apparaissent dans une case avec des guillemets. Ses dires, c'est comme si c'était moi qui les avait imaginé. Car j'étais constamment surpris de voir que ce que pensait Punpun, je le pensais aussi. Le fait d'être paumé dans une histoire d'amour, l'amitié avec ses potes, les problèmes de familles, c'est comme si j'avais été élevé par mon oncle Yuichi, comme si c'était moi qui était tombé amoureux d'Aiko Tanaka, c'est comme si c'était moi qui détestait ma mère et qui se sentait abandonné par mon père.
J'avais l'impression d'être Punpun, et je l'ai été, j'ai grandis comme lui, j'ai évolué comme lui, et la narration y est pour quelque chose. Dès que j'ai compris comment fonctionnait le manga, son style de narration, j'ai tout de suite su que la lecture allait être unique, que cette œuvre allait figurer parmi mes préférées, mais à ce point ?
Car même si j'ai commencé Bonne Nuit Punpun dans la joie et la bonne humeur, avec une bande de potes et mon amoureuse à mes côtés, plus le manga avançait, plus j'avais l'impression de me détacher de Punpun. Le jeune garçon insouciant et qui ne désirait que le bonheur partout se transformait en homme solitaire, arrogant et violent, et pour ça, je l'ai détesté. J'ai détesté ce qu'est devenu Punpun, persuadé que le monde ne tournait qu'autour de lui, que le malheur n'arrivait qu'à lui, ne se satisfaisant pas de ses amis, de sa situation, de son boulot. Je l'ai détesté parce qu'au fond de moi-même, je m'identifiais encore à lui, je me reconnaissais un peu en lui, et ça m'a hanté.
Et pourtant, Punpun n'est pas le seul personnage que l'ont suit dans ce récit, bien au contraire, il est parfois possible que le manga le délaisse longtemps pour s'attarder sur d'autres personnages. Des récits tout autant percutants dans des réflexions philosophiques incroyablement pertinentes, notamment à travers le personnage de Teki.
J'aurai cependant plus de réserve pour l'histoire sur Pégase, un homme assez bizarre qui crée une secte et qui est persuadé que la fin du monde aura lieu le 7 juillet. Je trouve qu'il s'agit-là du véritable point noir du manga, on s'y attarde parfois beaucoup trop pour pas grand chose, et ça casse le rythme, c'est, je pense, ce qui empêche de rendre Bonne Nuit Punpun parfait.
Car qu'on se le dise honnêtement, bien que je sois conscient des défauts du manga, il n'en est pas moins unique à mes yeux, et est désormais l'une des œuvres les plus importantes que j'ai pu lire dans ma vie. Tout le récit sur Punpun est d'une richesse ahurissante, incroyablement révélateur de notre société et de la nature humaine. Le manga se permet même d'introduire un personnage dont l'histoire remet totalement en cause les codes du mangas.
Je m'explique, on a le personnage de Sachi, qui est à mi-chemin amante et ami de Punpun (ils n'arrivent pas à définir leur relation), et elle veut faire un manga purement d'auteur, mais son éditeur lui explique clairement ce que le public attend, du divertissement. Et c'est marrant, parce que j'ai l'impression que le manga parle de lui-même, comme si son auteur avait reçu le même discours. Car soyons honnête, Bonne Nuit Punpun n'est clairement pas un manga de divertissement, quelqu'un habitué à du One Piece ou du Dragon Ball se retrouverait inévitablement submergé par l'incroyable complexité de ce manga. Et c'est exactement ce que dit l'éditeur à ce moment-là.
Et ça ne m'étonnerait pas de voir quelqu'un détester ce manga, car il est horrible, violent, n'hésite pas à parler de sexe de façon très crue, nous envoie en pleine face toute la merde qu'engendre l'homme sur Terre, mais bon sang, que l'expérience fût intense !
Alors voilà, je pense que je vais m'arrêter là, car je risque de tourner en rond. C'est con, parce que le manga est d'une telle densité, tellement riche qu'une simple critique comme la mienne ne saurait analyser tout ce qui fait la sève de ce manga. Je suis totalement dépassé par l’œuvre d'Inio Asano, et c'est peut-être pour ça que je l'aime tant, parce que ça ne m'étais jamais arrivé auparavant.
Bonne Nuit Punpun me surprend, plus encore, mais je n'ai pas les mots pour expliquer ce que ce manga me fait ressentir. Je le pense, c'est sûrement l'une des œuvres les plus importantes que j'ai pu lire dans ma vie, et il me marquera à jamais. Je vais vous ressortir mon petit barème : pour moi, il y a les chef d’œuvre, les chef d’œuvres absolus, et les chef d’œuvres ultimes.
Bonne Nuit Punpun est un chef d’œuvre ultime, et ça, j'en trouve rarement.