Boule et Bill fait partie de ces séries de BD franco-belges qui ne veulent pas mourir, initiée et développée par Roba de 1958 à 2003, puis reprise par d’autres auteurs.
Le duo du petit garçon roux et du cocker un peu foufou est un succès public et commercial, vendu à des millions d’exemplaires, adapté en films, séries télévisées ou en jeu vidéo. Boule et Bill incarnent un marché et il est toujours aussi lucratif, plus de 60 ans après sa création.
Pourquoi un tel succès ? Peut-être que si personne ne veut arrêter Boule et Bill, que les deux personnages restent aussi populaires, c’est peut-grâce à sa personnalité, une série douce et naïve sur le monde de l’enfance, des amis, des animaux, de la famille, de tout ce qui fait le quotidien d’un enfant. Croqué avec un regard bienveillant d’abord par papa Roba, qui déclarait avoir pris exemple sur son fils pour créer Boule et sur son chien pour le cocker farceur Bill.
« Boule et Bill en famille » n’est justement pas l’album habituel des gags et bêtises de ce duo d’une autre époque mais à l’humour atemporel. Il s’agit d’une réedition de « L’album de famille » de 1987 qui comportait des illustrations de Boule et Bill et des commentaires de Roba, agrémentée de contenus inédits. La petite préface est dédiée à André Franquin, qui avait fait entrer le dessinateur belge chez Spirou et l’a fait travailler pour lui, hélas décédé quelques temps avant la sortie de cet album.
Le livre permet d’en savoir un peu plus sur ce qui fait de la série une telle référence, avec les commentaires d’un des maîtres de la BD franco-belge, bien qu’il se serait refusé un tel qualificatif. Roba se présente humblement comme un perfectionniste dans ces pages, ayant toujours cherché à offrir le meilleur de ses héros dans sa livraison de planches, qu’il assure être sans prétentions, à accepter pour ce qu’elles sont, légères et divertissantes (« Je l’ai dit : je ne garde que des petits moments gentils. Boule et Bill est une histoire qui n’a aucune prétention. Certainement pas intellectuelle. Je dessine des petits bonhommes comiques, c’est tout. »), destinées aux enfants et pas aux adultes, même si rien ne les empêche de les lire (« Boule et Bill s’adresse d’abord à moi, puis aux enfants. En général, les adolescents décrochent mais je les attends au tournant : ils reviennent quand ils sont mariés avec des enfants et un cocker »).
Et pourtant ses illustrations, ici présentes, témoignent bien du soin qu’ils mettait dans son travail.
L’origine de ces illustrations auraient pu être précisées, la plupart semblent provenir des couvertures pour Spirou. Répondant aux critères de la série, elles en reprennent différents sujets, dont l’obsession des os de Bill ou ses oreilles bien pratiques pour différentes fantaisies. L’humour reste toujours bon enfant, malicieux mais jamais impertinent, avec une douce naïveté. Ces illustrations permettent de découvrir d’autres facettes de Roba, dont son sens de la composition pour attirer l’oeil, ou son travail avec la peinture, qui donnent à ces images un lointain miroir des grandes affiches d’antan. Une influence dont ne se cache d’ailleurs pas Roba, qui en a été marqué et regrette leur disparition.
Ce petit livre d’images serait plaisant tel quel, mais elles sont accompagnées de petites notes de Roba, qui permettent de découvrir l’artiste discret derrière cette série mythique et de mieux le comprendre.
Il revient sur des moments de son passé (« Avec Franquin, Morris, Peyo, Tillieux, on se livrait à des « séances de sueur » : on passait la nuit chez celui qui était en panne de gag, à chercher des idées. On rigolait bien, on avait quinze ans d’âge mental ») ou sur sa manière de travailler, permettant ainsi d’éclairer son œuvre. Il y révèle ses affinités personnelles qui se retrouvent dans sa série ; dont les petits ratages amusants (« Ce qui me fait rire , c’est le truc qui rate, le machin qui coince, la vanité des choses [...] »), l’importance de la nature, sa méfiance des adultes (« Je ne suis pas un fou des adultes. Je les trouve tristes, sauf ceux qui ont encore un pied dans l’enfance, les distraits et les maladroits. » ) .
Roba nous permet aussi de découvrir ses influences, et l’emblématique Hergé n’en fait pas partie : « Comme tous les enfants belges, j’ai lu Tintin mais je préférais les dessins plus vifs. Ce qui m’a attiré dans la bande dessinée, c’est Bicot, Pim Pam Poum, Mickey, Félix le chat, la famille Illico, Popeye. Et aussi les Pieds Nickelés [...] ». Un homme de goût.
Ce sont des commentaires d’un vieux monsieur, qui a alors 67 ans au moment de cette édition, allant d’un sujet à un autre. Cela se ressent au fil des pages, puisque Roba évoque aussi des idées plus terre à terre, comme sa météo préférée, ses paysages préférés, voire plus personnelles (« je crois à l’influence des prénoms. Les André sont des André, les Jean sont des Jean ») ou le signe zodiacal de l’auteur (le lion, mais il croit plus aux « influences magnétiques, telluriques, des choses qui nous dépassent... »).
Les banalités sont évidemment moins importantes, mais permettent tout de même d’éclaircir sa personnalité, et l’auteur se livre de manière bien innocente sur qui il est. A l’image de sa série, il préfère les petites touches de vie aux grands discours.
Il reste toutefois un sujet un peu plus délicat, qui témoigne aussi d’une autre époque, à savoir une certaine vision de la femme et notamment dans la bande dessinée. « En bandes dessinées, les femmes dites « comiques », ou elles sont laides, ou elles sont grosses ou malingres ou elles sont mal foutues », il utilise ensuite les exemples d’Astérix et de Gaston et conclut par « Les jolies filles, c’est difficile de les rendre comiques... » Il évoque ainsi plus un constat qu’une difficulté à franchir, on ne peut pas mélanger la séduction à l’humour avec une femme, selon une vision un peu passéiste du sujet.
Plus loin, il évoque le sexisme dont il a été accusé, et ce sera le seul commentaire fait sur la série qu’il a choisit d’aborder. La mère de Boule, Carine, est ainsi la femme au foyer typique, qui répare les bêtises ou tente de les prémunir, le père étant le plus souvent dépassé. En 1958, cette fonction de « mère = foyer » était évidente, elle l’a été de moins en moins au fur et à mesure que la série continuait à être publiée sans changer son contenu alors que la société changeait. Roba s’en dédouane un peu maladroitement, en disant au contraire que c’est un personnage important car « c’est elle qui tient toute la maison ». Il poursuit alors son commentaire en reprenant son argumentaire sur les femmes comiques : « en plus, c’est très difficile de de caricaturer une femme. Un homme peut se ramasser la figure dans le tapis, pas une femme. […] Au cinéma, si on fait tomber Catherine Deneuve, ça ne fait rire personne ». Et pourtant.
Inutile de crier au sexisme le plus immonde et de brûler les Boule et Bill, mais ces interventions reflètent bien une manière de penser courante pour un homme de cette génération, et permettent aussi de comprendre ce qui a précédé certaines évolutions. Le passé précédant le présent, au risque d’écrire des banalités, autant le comprendre pour mieux connaître son époque.
Boule & Bill en famille est donc un album assez personnel, qui donne au créateur de cette série (et qui ne la quittera quasiment jamais, en dehors de quelques albums de sa série La Ribambelle et de quelques décors pour les Spirou de Franquin) une importance qui lui manquait. En permettant de découvrir ses charmantes et amusantes illustrations pour Boule et Bill. Mais aussi en lui donnant la parole, ce qu’il fait de manière parfois mélancolique, parfois évasive, sur un ton innocent, sans grandes confidences ou révélations. Une biographie sur lui en dira bien plus. Mais qui permet de donner au nom « Roba » quelques traits de personnalité, un peu de vie, un peu de son passé, un peu de ses idées.
Jean Roba nous a quittés le 14 juin 2006, mais Boule et Bill reste avec nous.