Ce qui fait la force de Bunny réside dans l’établissement des règles de sa dystopie, dans un environnement coupé du monde et régi par ses propres principes, où les inadaptés et les condamnés rassemblés doivent se tuer au travail ou tenter de contourner les contraintes à leurs risques et surtout périls. Chaque « participant » de ce petit camp de vacances possède un crédit de valeurs qui lui a été attribué, à charge pour chacun de rembourser sa dette s’il veut quitter l’endroit. Une prison à ciel ouvert, où l’administration est en arrière-plan, dont les quelques subtilités offrent un certain crédit à l’idée, notamment dans l’habile et dangereux contournement trouvé par un des pensionnaires.
L’idée n’est pas neuve, l’oeuvre s’inscrit dans une décennie de dystopie pour adolescents dont Hunger Games, mais elle se révèle assez bien exploitée.
Pour autant Bunny ne peut pas s’inscrire dans le cercle fermé des meilleurs représentants du genre, tant l’album est écrasé par de nombreuses maladresses de ses auteurs, Jean-Gaël Deschard et Juliette Fournier. Son héroïne principale, Mio, est une fille à papa, une héritière apathique et colérique, à qui son paternel lui offre une porte de sortie si elle arrive à se sortir de cette île qu’il lui présente comme un « camp expérimental ».
Comme pour Mio et pour tous les autres, le duo créatif peine à rendre stimulants ces personnages, réduits à quelques traits de caractère. Beaucoup sont dans la caricature, et jamais Mio, toujours sourcils froncés, n’arrivera à se révéler attachante, ni à créer de l’empathie pour son personnage confronté à de nombreuses difficultés. Ses quelques états d’âme seront toujours bien vite balayés, malgré une bande dessinée assez bavarde, mais dont le texte reste trop banal pour arriver à créer l’atmosphère souhaité
Son principal écueil est probablement sa mise en forme, qui n’est pas si ratée mais adapte mal la cruauté de ce qui nous est présenté. Les personnages sont assez proches des styles de l’animation, avec leurs traits simples et une palette d’émotions restreinte, même s’ils se révèlent un peu trop rigides dans leurs mouvements. Jean-Gaël Deschard tente de dynamiter son récit par une alternance de points de vue pour chaque case mais le montage s’il se veut cinématographique est surtout haché et pénible, trop concentré sur le point de vue du lecteur case par case plutôt que sur la cohérence de son récit page par page. Les couleurs douces et pastels enfoncent le clou, un paysage d’île enchanté mais qui n’arrive pas à faire infuser l’anxiété de son propos.
Catalogué « roman graphique » sur l’arrière de la couverture, il est évident que le compte n’y est pas, ni pour la richesses de ses personnages, trop simpliste, ni pour la mise en forme, dont le style attractif et clair sera mieux employé sur d’autres projets. Il lui reste son univers, ses règles, quelques idées, mais avec ces deux écueils difficile de rester passionné jusqu’au bout sur un projet si mal mis en scène. Les auteurs ne seront pas stoppés dans leur élan par cette petite déception, apprécié par d’autres personnes que bibi, puisqu’on les retrouvera sur d’autres projets dessinés, dont l’amusante parodie Bakamon.