Je crois me souvenir qu'un jour j'ai été un gamin.
Je me rappelle pas de tout, loin de là, mais je refuse de me réfugier derrière des preuves. Les photos, les vidéos, les témoignages, tout ça c'est trop facile. Moi j'ai tout dans la tête. Alors forcément, je me rappelle juste de certaines bribes, de certains détails. Tu penses bien, plus d'une vingtaine d'années figées jour par jour dans ta caboche, ça doit en prendre de la place. Et moi en haut, c'est pas extensible à volonté, alors si je veux pouvoir y mettre des nouveaux trucs, inévitablement, je suis obligé de faire le tri.
Alors tu comprends, les années passant, l'étendue de mes souvenirs s'amenuise. Bien sûr j'en ai encore des pleines valises, ou en tout cas des pleins sacs. Enfin, des petits sacs. Mais je sens bien que ces sacs, au fond, ils ont un petit trou par lequel ça s'échappe. La fuite du temps.
J'avance, je vieillis, et ça me paraît de plus en plus invraisemblable que j'aie pu être un moi réduit.
Oh je suis pas con hein, pas plus qu'un autre, je sais bien qu'on est obligés de passer par là. Je sais que j'ai été un enfant. Je veux dire, je le conçois que ça a dû se passer comme ça. Mais aujourd'hui, ça me semble si loin, si différent, si absurde.
C'était vraiment moi le gamin qui tremblait de peur devant le premier Harry Potter, terrifié par un jeu d'échecs grandeur nature ?
C'était moi le morveux qui balançait des crosses de hockey sur le toit dans l'espoir d'en faire descendre une peluche coincée là-haut par maladresse ? (Faut comprendre, je visais la fenêtre de la chambre mais la puissance de mon bras a dépassé ma pensée)
C'était moi le gosse qui à vouloir sauter d'une balançoire arrivant à son point culminant s'est éclaté le dos par terre, puni par cette foutue gravité qui refuse de reconnaître que la vie est vachement plus belle dans la tête d'un gosse ? Foutu principe de réalité.
Toutes ces bribes, tous ces souvenirs, tout ça c'est flou. C'est comme un immense puzzle dont on m'aurait caché une bonne moitié des pièces. Rien de construit, rien de définitif.
Les certitudes me fuient.
J'ai été jeune, mais est-ce que j'ai été un enfant ? L'insouciance, l'imagination intarissable, la peur de rien ni personne (à part ces foutus cavaliers meurtriers en marbre), ça existe vraiment ?
Je vieillis, doucement mais tranquillement, et j'en suis de moins en moins sûr. Les souvenirs se tarissent, les images se ternissent. Ce passé semble appartenir à un autre temps, qui n'existe plus, qui n'a peut-être jamais existé.
Et puis, quand je lis Calvin et Hobbes, il se passe quelque chose.
Un pincement au coeur, un petit sourire nostalgique, un peu ému, des fois même une larme à l'oeil. Une évidence. Le retour d'une réalité partiellement effacée, rappelée par un gamin et son tigre. La certitude qu'un temps, j'étais comme lui.
Ça me revient maintenant.
L'enfance.