Bon j'ai pris du plaisir.
Mais tout du long j'ai éprouvé un sentiment de frustration. Parce que ça commençait si bien. Il se passait rien. On voyait juste les mésaventures d'un lapin pas très dégourdi, pas encore émancipé de ses parents. C'était vraiment chouette de traiter de ce petit rien. Puis Lewis a tenu à amener du spectaculaire. J'ai pas trop compris l'intérêt. Certes ça reste marrant. Mais c'est tout de suite moins profond, moins sérieux, moins adulte. Alors que le jeu de récré devenait intéressant, l'auteur saccage tout et part dans un délire adolescent. Je n'ai rien contre les blockbusters et autres joyeusetés décérébrées, mais clairement, en cours de route, Trondheim a changé de registre.
L'intrigue reste assez bien menée, avec de l'action, des conflits, du suspense, un personnage principal intéressant quelques secondaires sympas même si sous exploités. Quelques idées narratives passent moins bien : l'idée de changer de point de vue le temps de comprendre comment le méchant s'est enfui, c'est un peu facile et peu pertinent au niveau de la structure. Mais les scène sen soi sont intéressante et ce chapitre sur ce bougon de voisin est plutôt sympa en soi.
Le dessin est vraiment chouette ! Sans crayonné ? Ben c'est plus intéressant que pas mal de choses qu'il a pu faire ! Ses compositions sont dynamiques (pleines de lignes de force et directrices). L'action est toujours lisible. Le découpage est bien pensé, parfois même carrément intelligent. Reste tout de même quelques cases un peu inutiles, si ce n'est pour appuyer l'intensité dramatique de façon exagérée (à moins que ça ne soit uniquement pour arriver au bout de la page ? j'ai l'impression que le bougre s'est autorisé beaucoup d'impro).
Les personnages sont sympas mais ça manque de diversité. je ne connais pas bien l'univers de Trondheim, mais j'ai l'impression qu'il n'y a qu'un nombre très limité de visages différents (de races devrais-je plutôt dire), c'est un peu dommage. Les personnages sont heureusement expressifs (de visage et de corps). les lieux sont bien dessinés, les accessoires aussi.
La grammaire de Trondheim est efficace : on comprend ce à quoi correspond chaque chose, de par la continuité notamment (comme pour la fumée ; si on ouvre le bouquin au hasard et qu'on tombe directement sur une case où un personnage travers le brouillard, on risquerait de ne pas comprendre, mais dans la continuité, ça se comprend sans problème, grâce à une bonne mise en place de la grammaire. Seuls les effets d'ombre convainquent moins (parfois ça donne de la matière intéressant, mais parfois ça parasite un peu l'efficacité du trait, trait assumé et plaisant malgré ses irrégularités).
Le plus jouissif de l'album, et cela renforce ce que je pense de l'excellent début de cette histoire, c'est le bordel que Trondheim dessine. Y a plein de cases qui sont bourrées de détails. Pas forcément le genre de détails révélant des sous-intrigues amusantes en arrière-plan, non principalement des détails qui remplissent les cases sans jamais les rendre illisibles. Des gens qui marchent. Des gens qui font des trucs. Bon, on peut reprocher le fait que ces gens n'ont pas l'air de vivre réellement, ils marchent comme des automates (en même temps je suis en train de lire "Cul-de-Sac" et là on a affaire à un génie de l'expressivité), n'empêche c'est beau de voir tout ça. Et puis les décors sont bien fournis. À l'image de la couverture en fait. Y a toujours plein de choses et on comprend toujours tout. Sans avoir recours à la couleur ni à des masses de noir, l'auteur parvient à décomposer l'image en avant et arrière plan..
Bref, l'histoire ne va clairement pas là où j'aurais voulu que ça aille mais ça reste une BD amusante à lire. Mais bon. Je suis quand même content que l'auteur ait arrêté le projet, ça donne du cachet et puis surtout je pense que ces 'super'-intrigues auraient fini par devenir ennuyantes avant même d'être arrivé à la moitié de ces 5000 pages.