En commençant cet album, il faut bien avoir conscience de ce que c'est, c'est un "récit inachevé", comme le dit si bien le sous-titre. Du coup, forcément, ça pourra avoir un côté frustrant. Et il est peut-être préférable d'emprunter cet ouvrage dans une bibliothèque (comme ce que j'ai fait) ou a un ami, plutôt que de l'acheter, si l'on a peur d'être déçu. Trondheim a sorti cet ouvrage parce que les personnes qui avaient lu le projet l'avait bien aimé, et de toute manière, c'est pas comme si c'était la première BD sans conclusion qui arrive jusqu'à nous (on ne compte plus les séries qui n'ont pas eu de fin faute de succès commercial).
Trondheim voulait à la base faire une histoire sur 5000 pages (!), il en a finalement fait 270, mais nous offre un récit très agréable à lire qui montre bien que l'auteur n'est jamais meilleur que quand il a le temps et l'espace de développer tout un univers et d'expérimenter sur sa narration. Le projet fait inévitablement penser au génial Lapinot et les Carottes de Patagonie, à mon sens chef-d'oeuvre du scénariste. Mais dans Capharnaüm, il n'a plus la contrainte du gaufrier pour ses pages et en outre son dessin s'est amélioré, et on a vraiment de superbes pages avec de très belles vues de villes dans le style si particulier de Trondheim. Bref, je pense que si cette histoire avait eu une fin, elle serait probablement la pièce de maîtresse de l'oeuvre de l'auteur qui n'est malheureusement que trop rarement ambitieux dans ces récits, malgré son talent.
Ce que j'aime beaucoup dans cette histoire, c'est que Trondheim s'approprie des thématiques très super-héros, avec cette idée d'un groupe de personnes qui font justice eux-même, sorte de milice privée, mais dont les aventures sont connues de tous parce que racontées dans des périodiques. Mais ça ne se passe pas aux USA mais à Capharnaüm, ville très parisienne dans l'esprit, et le scénariste va s'amuser à raconter la vie de petites gens qui vont se retrouver embarquer dans les aventures rocambolesques de ces justiciers urbains. Et on retrouve ce décalage génial et cher à Trondheim du mec banal avec ces petites manies, ces réflexions cons, qui se retrouvent dans une grande aventure. C'est assez proche des aventures de Herbert dans Donjon Zenith quelque part, mais dans un monde urbain et contemporain, peu exploité par l'auteur depuis la fin de Lapinot.
Ce qui est bien c'est que tous les personnages sont très humains et on voit l'univers se développer au fil des page, gagner en densité. J'aime beaucoup toutes les scènes d'action, de poursuite, qui sont toujours vu à un moment ou a un autre du point de vue de l'homme de la rue. J'aime ce genre de détournement des codes hollywoodiens parce que ça permet de rappeler au lecteur à quel point ce genre d'évènements serait incroyable et dramatique dans la vraie vie. La séquence de l'explosion au centre ville ou la fusillade vers la fin du livre sont vraiment très réussie dans ce domaine.
Franchement je n'ai pas terminé l'ouvrage trop frustré. Oui, tous les mystères ne sont pas résolus loin de là, et Lewis Trondheim fait un changement de statut quo peu de temps avant la fin. Mais en soit, le tome se termine comme un tome 1, c'est pas non plus une fin abrupte en plein milieu du scène et sur un gros suspense. Faut prendre ça comme une fin ouverte, et l'ouvrage comme un tranche de vie d'un type qui passe de la vie banale à une vie héroïque. En tout cas, très bonne BD de Trondheim, où l'auteur est vraiment à un très bon niveau.