Autant le dire tout de suite, je n'ai pas lu le best-seller de Piketty, ce gentil keynésien qui, du fait qu'on le traite désormais comme un dangereux bolchévique, montre à quel point le PAF s'est droitisé en trente ans.
Un peu comme les Buddenbrook, ce chef-d'oeuvre de Thomas Mann, la bande dessinée choisit de suivre l'évolution d'une famille bourgeoise depuis le XIXe jusqu'à nos jours. Avec la génération de négriers, celle qui réinvestit dans les actions à la Belle Epoque, et qui peste à la création de l'impôt sur le revenu, puis la politique de redistribution des Trente glorieuses... Ce qui est intéressant, c'est qu'en se rapprochant de notre époque, la branche familiale que l'on suit se rapproche de la classe moyenne tout en gardant un capital intellectuel très important (et une maison à Arcachon, et une au Touquet).
J'apprécie ce qui suit la saga familiale, avec un côté "Le charme discret de la bourgeoisie". Il n'y a rien de plus drôle qu'un bourgeois en colère car on touche à son capital. En revanche les concepts économiques sont parfois insérés au chausse-pied. Surtout, la trame principale, bien connue, disparaît un peu derrière des apartés étranges (sur le système de classe indien, la déconnexion du peuple du vote à gauche, les institutions européennes etc...).
Le livre aurait gagné à ne se centrer que sur le rapport capital-inégalités, plutôt que de chercher à placer des clés de lecture sur l'actualité des trente dernières années : dans ces passages, il donne l'impression à quelqu'un d'informé d'enfoncer des portes ouvertes (le sport préféré de Piketty) et l'intérêt va donc en déclinant.
Bref, un livre pédagogique, mais que ne liront sans doute que ceux déjà convaincus, qui n'en ont pas besoin. Et pas assez énervé dans ses propositions (mais bon, si elles étaient suivies, on est d'accord que ce serait déjà formidable).