Depuis 2019, l’éditeur Delirium, au catalogue riche en pépites, a pris en main la noble mission de faire découvrir les aventures originales de The Mask en France. Si le film a été un incroyable succès en 1994, ses origines en papier étaient quasiment inédites chez nous, à quelques numéros près. Il faut bien avouer qu’entre la vision du personnage par John Arcudi et Doug Manhke au début des années 1990 et celle du film, le ton n’était plus le même : d’un anti-héros violent et dangereux la version de Jim Carrey devenait une incarnation extraite de Tex Avery, référence assumée dans le film.


Voici donc le 4e volume des aventures de l’anti-héros de Dark Horse Comics, l’éditeur original, avec les deux dernières mini-séries publiées à la fin des années 90. La différence de traitement entre l’une et l’autre indique bien la dualité entre le ton plus consensuel de la version ciné et ses aventures originales plus mordantes. Mais aussi un essoufflement manifeste de la licence constaté depuis le 3e volume de Délirium, et la reprise en main du personnage par d’autres mains moins talentueuses que John Arcudi et Doug Mahnhe.


Dans la première mini-série, Southern Discomfort, le cadre urbain habituel de la série se déplace vers celui de la Nouvelle Orléans et de son Mardi gras, période idéale pour un masque mystique qui transforme son porteur en entité farfelue aux pouvoirs sans limites et sans bornes. Pourtant, le Masque entre les mains d’Eric est utilisé comme un outil super-héroïque pour aller sauver sa petite sœur des mains d’un vilain geôlier exploiteur de jeunes filles blanches tuées pour des snuff movies autour du vaudou (un beau combo très 90’s). Eric masqué ne recourt quasiment pas à la violence, c’est à peine s’il ne dépasse pas des clous en traversant, et les vilains seront punis par la force du destin : des policiers ou des crocodiles dans le coin. Dans la vision de Rich Hedden, au scénario, et peut-être des éditeurs, le Masque se présente donc un héros certes cinglé, une tornade verte, mais sans aucune implication que le porter révèle les pires penchants de son hôte.


Ce n’est pas entièrement déplaisant, l’aventure proposée est une suite sans fin de gags et de mascarades du Mask, un rythme à suivre et parfois éreintant comme une longue farce, mais sans grande surprise et avec des personnages sans grand charisme, en dehors peut-être des antagonistes.


Le trait gras et grotesque de Goran Delic est adéquat, dans une farandole de pages à la composition brusquée, effrénée, dont les couleurs plus maussades que festives s’accordent bien. Ce n’est pas la grande fête, même si The Mask est aux premières loges pour occuper la scène, et on sent que le potentiel ambigu de l’idée du Masque est complètement délaissé. Une mini-série « no brain » faussement poisseuse, mais heureusement le super-héros vert et élastique est là. Sauf que ce n’est pas vraiment ce qu’on attend de ses aventures sur papier.


Deux ans plus tard, mais à la page suivante pour cet album, la mini-série Toys in the Attic allait tenter de revenir aux origines de John Arcudi et Doug Mahnke, ce dernier s’étant même occupé des couvertures, comme un retour aux sources. Ce serait mentir avec le nez bien long qu’affirmer qu’au dessin Sibin atteint la cheville du maître. Mais il y a une évidente inspiration, même si l’ensemble reste très classique, très fonctionnel, très statique aussi. Rien à voir avec les compositions folles de Goran Delic, bien au contraire.


Heureusement, le scénario de Bob Fingerman est bien plus intéressant, même si la surprise n’est plus là, avec Aldo, un designer de jouets frustré par sa vie que l’inopinée découverte du Masque va permettre de régler ses problèmes, bien qu’inconscient. Un nouvel Stanley Ipkiss en somme, qui, sous les traits du Masque, va tuer d’anciens partenaires d’un théâtre amateur, les mettant en scène sous d’étranges postures.


Assez ironiquement, The Mask est presqu’en retrait de ses propres méfaits, pour mieux présenter la vie d’Aldo et les conséquences du masque sur sa vie personnelle et professionnelle, inconscient des méfaits de son « Mister Hyde ». Mais les personnages les plus importants sont presque le duo de lieutenants Petrillo et Duke, à l’humour sardonique et grands échangeurs de répliques, en prises avec des meurtres de plus en plus grotesques. Un duo déjà bien solide, mais encore enrichi par l’arrivée de l’inspecteur Kellaway, véritable fil rouge des séries The Mask et qui connaît bien le dossier mais qui n’est pas dans sa juridiction. D’autant plus que sa rigidité et son mauvais caractère ne l’aident pas à se faire accepter.


S’il n’y avait pas grand-chose à tirer des dialogues de la première mini-série, creux et vains, ce n’est plus le cas ici. Bob Fingerman n’est pas un premier venu, il s’était fait connaître avec sa série autobiographique Minimum Wave, et il arrive bien à donner un peu de personnalité à ses personnages, de leur donner un peu de corps, notamment par les dialogues qu’il met dans leur bouche. Et dont les échanges entre les flics sont si plein d’esprits, avec la force de l’humour noir et de celui du désespoir que le scénariste aurait pu travailler pour des séries policières.


C’est donc bien écrit, et on retrouve le personnage ambigu de The Mask, capable de torturer et tuer, même si les mises en scène sont hors scènes. Un artefact psychique qui renforce le pire de chacun, fait ressortir les frustrations pour les assouvir à sa façon perverse. Une rebascule qui fait du bien, même si le dessin est plat et que « Grosse Tête » est un peu plus en retrait, mais c’est pour mieux montrer son influence sur d’autres personnages.


Une dernière mini-série qui vient redorer le blason des précédentes, mais sans non plus se hisser à ses sommets. Comment expliquer cette lente dégringolade du dingue en vert ? Difficile d’exploiter The Mask chez un petit éditeur tel que Dark Horse Comics, qui n’a pas le même réservoir à talents que Marvel ou DC. Il faut aussi reconnaître que les années 1990 ne sont pas connues pour la meilleure période qualitative de l’histoire des comics. Enfin, l’influence grand public du film a pu troubler les tonalités de chacune de ces mini-séries.


Il n’en reste pas moins qu’après la folie et la dérision des histoires de John Arcudi et Doug Mahnke (oui, encore eux, toujours eux) le potentiel semble avoir été gâté après quelques mini-séries pas forcément mauvaises mais le plus souvent sans éclats particuliers, n’exploitant pas toutes les possibilités du personnage.


Delirium a annoncé qu’il s’agissait de son dernier recueil de l’intégrale, même si celle-ci oublie quelques morceaux certes accessoires. Les premiers pas du personnages par son créateur Mike Richardson et d’autres artistes dans Dark Horse Presents à la fin des années 1980 , les mini-séries Walter : Campain of Terror de 1996, consacrée à un vilain du même nom, Itty Bitty Mask, publiée en 2014 et destinée aux enfants ou les adaptations du film et de la série animée en comics pour la jeunesse, dont certains ont été publiés à leur époque en France.


Parmi les quelques crossovers qui sont parus avec le personnage, rappelons que l’excellent et jouissif Lobo/The Mask a été publié avec Joker/The Mask par Urban Comics, puisque les droits appartiennent à DC, même si l’éditeur a été sport en faisant de la promotion pour les aventures originales de The Mask par Délirium. Seuls deux crossovers n’ont pas été (ré)édités : The Mask - Marshal Law (absent de la récente édition complète de Marshal Law) et Grifter and The Mask, personnage de DC et donc qui aurait pu faire partie de l’album d’Urban Comics mais qui dans mon souvenir – publié en France en 1998- était assez anecdotique.


Voici donc ce qui conclue les aventures éditées en France, et ce qu’il reste d’inédit.


Avec cette évidente conclusion, le personnage est intéressant, ambigu, comme miroir déformé de nos plus grandes frustrations, mais encore faut-il que des auteurs talentueux l’exploitent au mieux. S’il devait revenir, et pourquoi pas, merci de laisser le masque à des auteurs qui saurent à nouveau redonner au personnage sa folie ambiguë.

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le 6 déc. 2022

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