Il ne paye pas de mine comme ça, de loin, avec sa couverture pulp de série B sanglante et son titre Marvelisant... Pourtant Chainsaw Man ça n'est pas n'importe quel shonen – et pas seulement parce qu'il est dur (vraiment dur). Ni même parce qu'il est drôle (très drôle). Il y a une espèce de naturel punk dans le style de l’auteur, qui en plus d’être super expressif dans son dessin (il y a de la virtuosité, du jem’enfoutisme et une simplicité d’amateur passionné, parfois dans la même planche) parvient à narrer d’un ton très effronté une histoire violente et cruelle, parfois sordide mais sans jamais être edgy (chose que je déteste). C’est qu’on y décèle aucune complaisance ; le monde et les lois qui le régissent sont des chiennes mais les personnages ne sont que des créatures (je n’ose dire des humains) lâchées dans la panade, qui essayent de survivre et d’être le plus heureux possible malgré tout, en trouvant excitation et apaisement dans l’autre – qui est tout aussi flingué que soi. Denji est peut-être le meilleur des héros débiles des shonens. Aussi invariable (et teubé) que les lignes de bois d’une planche de chêne, qui ne fait que très peu de concessions à son postulat de base sans jamais cesser d’avoir une présence crédible et tangible. Sa chair idiote s’incarne toute entière dans ce monde retors, il est le parfait ado qui a passé un contrat dont les enjeux le dépassent. Le duo tragicomique qu’il forme avec Power est merveilleux, j’ai pas les mots.
L’intrigue de fond file à une allure réellement vertigineuse, les enjeux grimpent et prennent très vite une ampleur folle. Et pourtant cette intrigue prend une place presque secondaire devant l’écriture des liens désespérés qui unissent, voir accrochent les persos entre eux, comme des glaçons qui fondent et s’anéantissent en essayant de se tenir chaud. Chainsaw Man se distingue du lot ne serait-ce que parce qu’il n’a pas oublié que, humain ou démon (ou constellation d’être hybrides qui se débattent entre ces pôles), chaque personnage a des désirs, et ces désirs sont le cœur battant du manga. Chainsaw Man n’est jamais aussi fort que lorsque l’un ou l’autre de ses rejetons s’arrête pour essayer de se souvenir de ce que ça fait d’avoir un jour été humain.
Y a de l’ineffable dans la capacité qu’a le mangaka d’insuffler autant de vie et d’humour dans cette parade d’êtres condamnés, autant de carpe diem alors qu’on s’explique à peine comment ils survivent après chaque arc – alors que le suivant s’annonce encore pire. C’est très parlant que l’arc le plus « shonen » (comprendre déploiement d’une foule de combattants charismatiques et inhumains contre lesquels il faudra bien survivre, arc qui serait l’apex de n’importe quelle autre série) s’avère en fin de compte être le plus faible, et qu’un chapitre tournant autour d’une séance de ciné un peu malaisante l’éclipse immédiatement.
J’ai peur que Fire Punch n’ait pas la même alchimie fragile et soit trop gratuit (et edgy ?), mais Chainsaw Man donne envie de faire confiance à Tatsuki Fujimoto, dont je recommande d’ailleurs le chouette one-shot Look Back.