Enquête sur le côté obscur du gaullisme

Qu’ont en commun l’assassinat du juge François Renaud à Lyon le 3 juillet 1975, le braquage de la Poste de Strasbourg le 30 juin 1971 et le soi-disant suicide de Robert Boulin, ministre du Travail du gouvernement de Raymond Barre, le 30 octobre 1979? La réponse tient en trois lettres: SAC, comme Service d’Action Civique. Largement oubliée aujourd’hui, cette milice du parti gaulliste est une organisation secrète qui s’est rendue coupable de nombreuses exactions et de plusieurs dizaines d’assassinats politiques sous les présidences de Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing. Lors de sa fondation en 1960, le SAC vise avant tout à protéger le pouvoir gaulliste, notamment par le biais d’opérations « coup de poing » contre des militants communistes. Mais au fil des années, il se transforme en véritable organisation mafieuse, avec des relais puissants au sein de la police, de la justice et du syndicalisme. Le SAC devient alors un véritable « Etat dans l’Etat », capable de protéger des truands et d’assassiner des gens en toute impunité. Dans la BD reportage « Cher pays de notre enfance », le journaliste Benoît Collombat et le dessinateur Etienne Davodeau tentent de lever le voile sur cette mystérieuse organisation, née dans le sillage de la guerre d’Algérie. On suit pas à pas l’enquête minutieuse menée par Collombat et Davodeau. Les deux hommes sillonnent toute la France pour rencontrer des députés, des journalistes, des syndicalistes, des fonctionnaires, des magistrats, des policiers et même des malfrats de l’époque. Impossible par contre d’obtenir un rendez-vous avec l’ancien ministre Charles Pasqua… Même plusieurs dizaines d’années plus tard, on constate qu’il reste extrêmement difficile de faire la lumière sur cette page très noire de l’histoire de France. D’ailleurs, tous ceux qui ont tenté d’enquêter sur le SAC l’ont soit payé de leur vie soit ont subi des menaces très graves. Malgré tout, les entretiens menée par Collombat et Davodeau permettent de dégager certains éléments très troublants, en particulier sur la manière dont les méfaits du SAC ont servi au financement d’un parti politique et sur les liens très troubles entre la France et certains dictateurs africains dans les années 70 (la fameuse « Françafrique »). Ces mêmes éléments avaient certainement été découverts par le juge Renaud et le ministre Boulin. Tous deux s’apprêtaient à les révéler au moment où ils ont été assassinés…


« Cher pays de notre enfance » est un album à la fois utile et courageux, qui n’hésite pas à accuser ouvertement certaines personnalités influentes de ces années-là, notamment « le grand » qui dirigeait le RPR et qui est devenu plus tard président de la République. Loin de s’en tenir à la version officielle de l’histoire, la BD documentaire de Davodeau et Collombat s’appuie non seulement sur de nombreuses rencontres, mais replonge également dans les archives des commissions d’enquête parlementaires, avec comme objectif d’enfin briser l’omerta sur « les années de plomb de la Ve République ». Si cette enquête journaliste de plus de 200 pages se révèle passionnante, c’est aussi parce qu’on suit pas à pas le cheminement des deux hommes, ainsi que leurs discussions et réflexions lors de leurs nombreux trajets à travers la France. Deux petits bémols malgré tout. Premièrement, il s’agit forcément d’une enquête très franco-française, ce qui signifie qu’il faut disposer d’une certaine connaissance de la politique et de l’histoire récente de ce pays pour en saisir toutes les subtilités. Deuxièmement, il s’agit d’un sujet qui n’est pas aisé à mettre en images, dans la mesure où il s’agit avant tout d’une succession d’interviews. Ce type d’enquête passe bien dans un reportage radio ou TV mais s’avère plus répétitif en bande dessinée. Etienne Davodeau fait tout son possible pour briser cette monotonie, mais sans toujours y parvenir. « Cher pays de notre enfance » est donc une BD éclairante… mais qui ne parlera sans doute pas à tout le monde.


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matvano
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le 26 déc. 2015

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