« Chihuahua Pearl » constitue le treizième album des aventures du lieutenant Mike Blueberry, géniale série de western scénarisée par Jean-Michel Charlier et magnifiquement illustrée par Jean Giraud. Publiée en 1973, l’histoire fait suite au diptyque des "allemands" et démarre un nouveau cycle qui s’étendra sur trois tomes.


Un beau jour, à la frontière mexicaine, le lieutenant de cavalerie Blueberry repère une troupe officielle de l’armée mexicaine, lancée à la poursuite d’un fuyard en plein territoire américain – au mépris de toutes les règles. Sans se laisser intimider, Blueberry intime l’ordre aux "federales" de regagner leurs pénates, s’attirant l’inimitié durable de leur "commandante", le rugueux Vigo. L’américain s’attache aux pas du fugitif, qui, dans sa course éperdue, n’hésite pas à ouvrir le feu. Toutefois, l’homme et sa monture, esseulés, commettent une erreur fatale et finissent dans un précipice. Descendu avec précautions au fond du canyon, Blueberry met la main sur une missive destinée au président des Etats-Unis, qui va mettre en branle une chasse au trésor sans précédent.


« Chihuahua Pearl » démarre un nouveau cycle. Les aventures précédentes du lieutenant Blueberry l’avaient très souvent mis en scène face aux Indiens, en particulier lors du triptyque du "cheval de fer", où Blueberry supervisait la construction de la voie ferrée. Ici, l’on opère un demi-tour complet : Charlier et Giraud offrent à cette nouvelle aventure ce superbe écrin qu’est le Mexique. De manière plus symbolique, délaissant les avancées technologiques, l’on se tourne vers le passé et la Guerre de Sécession, dont les spectres vont avoir un rôle important à jouer.


Ce n’est que la seconde fois, dans la série, que l’on y visite le Mexique. Après une première incursion, rapide, dans les premiers tomes, cet album s’y déroule presqu’exclusivement. Sierras, déserts, "federales" ripous, cantinas minables et haciendas grandioses, rien ne manque. L’ambiance graphique est exceptionnelle : dessin et couleurs s’accordent à la perfection avec les environnements décrits. Si toute la série est caractérisée par un dessin d’une très grande qualité, « Chihuahua Pearl » en est, jusqu’ici, peut-être le plus bel album.


Le scénario, d’une simplicité et d’une élégance redoutables, met en scène les prémices d’une terrible chasse au trésor, où l’enjeu, d’une valeur inestimable, déchaîne les passions les plus folles. Charlier sait également conserver une sobriété bienvenue, introduisant les différents partis intéressés et décrivant les péripéties avec une certaine mesure… qui lui a parfois manqué par le passé. Point de rebondissements incessants ici ! Au contraire, le caractère définitif des évènements leur confère une force dramatique et maintient la tension jusqu’à la dernière page.


On pourra avoir le plaisir – ou la lassitude – de retrouver cette vieille outre avinée de Jim McClure, qui servira une nouvelle fois de side-kick à Blueberry. Ce bon vieux Mike reste fidèle à lui-même : présenté comme une tête brûlée incontrôlable en début d’album, il se révèle finalement bien docile, gentil et loyal dans toute la suite.


Néanmoins, Charlier fait preuve d’originalité en introduisant un personnage féminin de premier plan, la fameuse Chihuahua Pearl qui donne son titre à l’album. De mémoire, il ne s’agit que de la seconde femme importante de la série (après Guffie Palmer, un second rôle de la trilogie du chemin de fer). Diablement maligne et terriblement mignonne, Pearl constitue à la fois l’arlésienne de l’album, attendue dès la vision de la couverture – magnifique par ailleurs – mais pourtant invisible, et son paroxysme, apparaissant enfin dans les plus belles planches de l’album. Ce personnage offre une fraîcheur et une originalité bienvenues dans une série jusqu’ici très masculine.


Marquant l’entame d’un nouveau cycle, « Chihuahua Pearl » est l’un des meilleurs albums de la série Blueberry. L’histoire ne souffre nullement de la partition en plusieurs tomes ; l’album est auto-suffisant et peut tout à fait être lu et apprécié comme indépendant de ceux qui vont suivre. Introduisant une histoire simple, mais bien menée, des enjeux importants et des personnages originaux et détaillés, Charlier et Giraud nous font voyager dans un Mexique magnifié pour des aventures de western dessinées plus exaltantes que jamais.

Aramis
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le 15 déc. 2015

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