Je pense bien qu'il s'agit là de mon Harvey Pekar préféré. Ce qui me donne envie de découvrir le reste de son oeuvre que j'avais certainement sous estimée.
La narration est tout bonnement incroyable. En lisant la préface d'Alan Moore, je trouvais que les compliments étaient exagérés sans doute par une empathie pour l'auteur et là je me rends compte du vrai talent de raconteur du vieux bougre. Son histoire se déroule comme s'il nous la racontait directement, avec ce que cela implique de redondance, de formulations formelles, de chaos dans le déroulement des évènements (il revient en arrière plusieurs fois). L'album se lit d'une traite et il est difficile de choisir une page pour s'arrêter et faire une pause. C'est dense mais on n'étouffe jamais pour autant. Harvey parle de lui mais aussi des gens en général et ce de façon plus radicale que jamais. Enfin l'auteur semble ne suivre que ses propres règles (il a affirmé un jour que la BD est le médium le plus formidable car on peut TOUT y faire) puisqu'il apsse d'un constat impersonnel à un autre personnel sans transition, simplement au gré de ses envies. La structure qu'il emploie est toute particulière et mériterait une analyse car jamais il n'y a de chute de rythme. L'album est tout simplement à mi chemin entre l'épopée historique et le récit autobiographique.
Graphiquement, je ne suis pas fan de tous les auteurs avec qui le scénariste a collaboré. Crumb m'avait toujours semblé être le meileur choix. Ici il donne sa chance à un jeune de la BD, Joseph Remnant qui offre un travail de qualité. Son style se rapproche certainement de celui de Crumb, mais en moins excentrique. Finalement, l'auteur s'efface devant le propos d'Harvey, sans pour autant omettre des détails qui font qu'on pourrait rester planté devant une planche durant de longues minutes. C'est assez contradictoire ce que je dis. Sans doute le fait que ce soit noir et blanc sans trop d'artifice permet de ne pas foutre en l'air la narration, je ne sais pas. Puis il faut saluer la reconstituion de l'époque, les sublimes dessins de bâtiments, de rues, ...
Bref, Cleveland est une fresque sur la vie de Harvey, celle de l'habitant moyen de Cleveland, mais aussi tout simplement d'un être humain en général. Il y aborde la vie dans toute sa complexité, mais en laissant sous entendre que tout cela est vain, simplifiant au maximum le propos. Cleveland c'est un peu l'album photo d'une vie. Quelle tristesse que l'auteur soit mort quelques années seulement après avoir clôturé cet album sur une page pleine d'espoir de vivre encore longtemps dans ce monde...