La première pierre du Donjon

Un Donjon, des monstres rigolos, un héros par erreur, un dragon végétarien et … une épée qui parle.

Donjon est une série protéiforme aux multiples portes d’entrée, et il est parfois bien difficile de savoir par où commencer. Mais si on ne devait conseiller qu’un seul album pour démarrer la série, ce serait celui-ci. Cœur de canard est le premier Donjon paru, et par conséquent est l’album qui pose les bases de l’univers.

Cœur de canard présente à la perfection l’univers et le « concept Donjon » : une série d’héroïc-fantasy animalière, où les aventuriers sont les méchants et les monstres sont les gentils. Ces derniers sont les « employés » d’un terrible Donjon géré comme une PME par son Gardien (autrement dit son PDG), qui attire par sa réputation les premiers susnommés, considérés comme de véritables « clients ». En bref, le ton de cette série se veut résolument loufoque et humoristique, tout en mettant en scène un univers cohérent (ce n’est pas une simple parodie d’héroïc-fantasy comme on pouvait le penser au début, mais bel et bien une VRAIE série HF à part entière). Sorti en 1998, cet album fut un véritable OVNI dans le paysage BD de l’époque et le point de départ de l’une des séries les plus novatrices qui ait jamais existé, et qui allait réellement marquer l’Histoire de la BD.

A le relire aujourd’hui, on constate avec émerveillement qu’il n’a pas pris une ride ; la magie opère toujours. Humour décapant, dialogues savoureux, personnages hauts en couleur (mention spéciale à Herbert), gags excellents, situations fantaisistes, vraie bonne intrigue, beaucoup de second degré et de références cultes … Ce tout premier tome de la sous-série Donjon Zénith (branche centrale de la saga qui s’appelait simplement Donjon à l’origine) frappe très fort d’entrée de jeu, avec un humour excellent, totalement absurde, et des personnages immédiatement attachants.

Il y a Herbert le canard, humble sous-fifre du Donjon – maladroit, couard, nul de chez nul à la bagarre mais grande gueule et veinard comme c’est pas permis – qui récupère par erreur l’Epée du Destin (une épée magique parlante liée à la destinée de la planète, aux super pouvoirs bien encombrants, qui n’aura de cesse d’essayer de l’entourlouper plutôt que de l’aider dans ses aventures) et devient sans faire exprès le héros de la série, emporté dans des aventures dantesques qui le dépassent. Il y a Marvin le saurien, bras droit du Gardien du Donjon, gros bourrin friand de bagarres sanglantes mais incapable de cogner ceux qui l’insultent et végétarien de surcroît. Il y a le Gardien, vieil oiseau pingre et blasé qui dirige le Donjon et sa ménagerie de monstres d’une main de fer. Puis tout un tas de seconds rôles forts réussis : Horous et Alcibiade, magiciens employés au Donjon ; Zongo, le gros monstre abruti qui ne s’exprime que par des « Zongo ! » ; les Lapins racistes et pleutres de Zootamauxime ; les Capuchons, intimidante secte qui cherche à s’approprier le Donjon, etc. Bref, le bestiaire totalement délirant de ce premier tome est l’un des gros points forts de cet album.

Le dessin naïf et espiègle de Trondheim me plaît personnellement beaucoup et est en parfaite osmose avec le scénario, en renforçant l’atmosphère burlesque et décalée de cette aventure. L’identité d’une série passe aussi par son aspect graphique et ce premier tome de Donjon Zénith (ainsi que les trois qui suivront) est à ce titre un modèle du genre, tant dessin et scénario sont en adéquation. Au final Cœur de canard est une réussite à tous les niveaux, et bien qu’il s’agisse du tout premier Donjon paru, il demeure à mes yeux l’un des meilleurs. C’est le début d’une grande aventure …