Au sein de l’œuvre pléthorique de Sfar, on a pris l'habitude distinguer - un peu arbitrairement - l'indispensable ("le Chat du Rabbin", "le Donjon" avec Trondheim, ou "Grand Vampire") du simplement sympathique ("l'Ancien Temps", par exemple), afin de n'être pas noyé sous sa production. "Klezmer", à cause d'un dessin moins "soigné" qu'à l'habitude, m'avait semblé faire partie de ses œuvres plus confidentielles, auxquelles je jetterais seulement un œil lorsque l'occasion s'en présenterait. Quelle erreur ! Car, s'il est vrai que les très belles aquarelles de "Klezmer" sacrifient - quelque fois même assez radicalement - le dessin (on est presque parfois chez Reiser, ici... ce qui n'est pas une critique de ma part, loin de là !), le souffle de la fiction, exotique (... car que connait-on de la vie errante des juifs ukrainiens ?), souvent romantique, parfois brutale, régulièrement enivrante pour tout dire, emporte tout sur son passage, plaçant clairement "Klezmer" là haut, tout au sommet, du travail de Sfar. Mais, au delà de l'énergie finalement joyeuse, et souvent drôle, qui se dégage de ce récit plein d’espièglerie de la création d'un "Klezmer Band" dans un monde plus qu'hostile, il est passionnant de voir comment Sfar essaye de relever le défi énorme qu'il s'est lancé : créer une version "BD" de la musique des juifs ashkénazes. Dans l'impossibilité frustrante de nous faire entendre cette musique de vie et de passion, c'est le rythme tout entier du récit, emballé, irrespectueux, au flux brisé par des dissertations farfelues, qui en retranscrit la vitalité. Et c'est magnifique.
PS: A noter aussi une postface remarquable d'intelligence et d'audace, qui prouve que Sfar, au delà de son statut d'auteur de BD déjà reconnu, est aussi un "honnête homme", dont on savourera chaque propos, prolongeant ainsi la magie du livre par une réflexion pertinente sur la judaïté. [Critique écrite en 2014]