Constellation
7.2
Constellation

BD franco-belge de Frederik Peeters (2002)

Nous sommes en 1957, dans un avion de type Constellation qui fait la liaison Paris-New York. Un homme en costume-cravate, attaché-case sur les genoux, manifeste tous les signes d’une grande nervosité qu’il tente de maîtriser. Une femme glisse devant lui (fessier bien en évidence sous son nez), pour reprendre sa place. Elle engage la conversation en minaudant gentiment, comme si, l’air de rien, elle voulait lui tirer les vers du nez. Bien-sûr il la soupçonne du pire et il s’imagine observé. N’y pouvant plus, il se dirige vers les toilettes, pour se soulager physiquement et psychologiquement. A son retour, il décide d’attaquer en inversant la situation : à lui de poser des questions ! Surprise, on dirait que la femme se livre suffisamment pour donner des informations personnelles.


S’il a tout d’un homme d’affaires, l’inconnu est probablement un tueur à la solde de la CIA. La femme, belle et élégante, est une charmeuse qui vise le monde occidental pour enfin vivre la vie à laquelle elle aspire. Séductrice sur le retour, il serait temps qu’elle se fixe avec un homme. Pourquoi pas son voisin de siège, homme de belle prestance ? Dans un premier temps, nous avons accès aux pensées de l’homme, ainsi qu’à un dialogue anodin. Ils commandent un thé. Maladroit, il renverse le sien sur sa robe. En homme du monde, il lui abandonne son propre thé pour compenser. Et, comme elle semble fatiguée, il la laisse se reposer, regrettant une maladresse sans laquelle il aurait peut-être pu la séduire.


Avec ce petit album (24,5 x 16,5 cm), dont la publication originale date de 2002 (collection Mimolette), réédition en 2017, toujours par l’Association (collection Ciboulette), Frederik Peeters illustre avec maestria l’éventail des possibilités narratives du medium BD. Un éventail finalement très proche de celui du cinéma, avec voix off et présentation des situations par la vision de différents protagonistes, apportant ainsi successivement des informations capitales. En exploitant habilement l’espace à l’intérieur d’un avion de ligne, il noue un drame à multiples facettes. Plutôt anodin, le dialogue entre l’homme et la femme prend différentes dimensions selon le point de vue. En coulisses, autre chose se prépare, en rapport avec l’époque (guerre froide) et comment certains ont vécu l’immédiat après-guerre. On a alors droit aux pensées d’un autre personnage. Enfin, la dernière partie nous donne la clé de l’énigme avec les pensées intimes de la femme. On comprend que le drame d’envergure internationale s’accompagne d’un autre, personnel. Et, on admire le savoir-faire du dessinateur (et scénariste) qui montre comment et pourquoi la conjoncture de puissants desseins et de petites causes peut entraîner de grands effets.


Le scénario est donc un petit bijou, d’autant plus remarquable qu’il tient en l’espace de 30 planches. Ma déception vient des dessins à mon avis inférieurs aux desseins. Que Peeters privilégie des gros plans pour mieux mettre en évidence des détails essentiels, pourquoi pas. Mais qu’il se contente d’un trait assez épais pour illustrer un scénario d’une grande finesse me déçoit. L’originalité de certains plans ou cadrages ne compense pas la réflexion nécessaire pour comprendre ce que le dessinateur montre sur d’autres cases.


A mon sens, le plaisir de la lecture devrait s’accompagner du plaisir des yeux, le noir et blanc pouvant naturellement s’y prêter. C’est ce que laisse espérer la couverture. Au final, mon admiration pour l’intelligence du scénario tombe devant un aspect esthétique décevant, comme si le dessinateur se limitait à un exercice de style (certes réussi). L’ensemble se prêterait bien à une adaptation cinéma sous la forme d’un court métrage.

Electron
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le 8 déc. 2019

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