Contro Natura
6.5
Contro Natura

Comics de Mirka Andolfo (2018)

Le résumé est très clair quant au programme qui nous attend : dans une dystopie anthropomorphique, les relations entre animaux qui ne sont pas de la même espèce sont strictement interdits, selon la formule énoncée par le titre même de cette série ainsi que durant quelques passages. Or la truie Leslie a de nombreux rêves humides impliquant un beau loup blanc, elle s'interroge sur leur signification tandis que des personnes aux intentions plus ou moins sympathiques s'intéressent à elles pour des raisons mystérieuses.


Avec un synopsis pareil on sait ce qui nous attend, ce qui va être dénoncé. Ce n'est pas subtil mais ça n'a pas besoin de l'être. Ce qui est plus étonnant c'est de nous faire découvrir cette société par une propagande qui interdit non seulement les relations inter-espèces, mais aussi l'homosexualité. Je m'interroge sur l'utilité de l'allégorie animale si c'est pour expliciter sa signification aussi vite, c'est aussi redondant que que si dans X-Men on avait des humains clamant qu'il faut ficher les mutants et puis aussi les gays tant qu'on y est. Quitte à faire une allégorie, autant l'assumer. Mieux, on aurait pu faire une société où l'homosexualité est parfaitement acceptée pour rendre le rejet des autres relations "contre-nature" d'autant plus absurde, et montrer le côté arbitraire et infondé de cette discrimination.


L'histoire nous présente alors une politique visant à favoriser la reproduction, imposant une taxe invivable aux célibataires, et ça aurait pu expliquer ce parti-pris. Ces discriminations ne seraient alors pas simplement de l'homophobie ordinaire mais une réaction au "refus" de participer à l'effort collectif pour rehausser la démographie. C'est un niveau de lecture qui est tout à fait valable et qui aurait été intéressant, on aurait ainsi pu aborder ce thème de la répression avec un angle peu utilisé dans une industrie où les héros ne finissent heureux qu'en rencontrant l'âme sœur. Une séquence dans une agence matrimoniale va dans ce sens, elle fait partie des passages qui m'ont donné confiance en ma lecture par son cynisme à paillettes. Mais cette piste est abandonnée très vite (faux spoiler : Leslie rencontre bien un amoureux évident) pour revenir à du "beurk, vous n'êtes que des dégénérés", même la dystopie finit par se faire la malle. Et c'est à partir de cet abandon que la BD part en eau de boudin.


Pourtant le premier contact était engageant. La description de cette dystopie est banale mais correctement faite, les personnages se montrent plutôt attachants. Le trait de Mirka Andolfo est très bon avec des couleurs chaudes de dessin animé qui donnent du volume. L'anthropomorphisme est géré avec naturel, les personnages sont très expressifs avec une légère touche d'exagération pour renforcer leurs émotions sans nous faire perdre la tonalité d'histoire pour adulte. D'ailleurs la BD se caractérise par un érotisme assez présent, notamment dans les rêves décrits plus haut (les furries seront ravis). Ce n'est pas juste des touches sexy par-ci par-là même si on en trouve aussi : c'est du fantasme assumé qui fait partie intégrante de l’œuvre, avec bien moins de racolage que ce que l'on peut trouver dans d'autres BD pourtant plus frileuses comme chez les éditions Soleil, malgré quelques sexualisations qui n'interviennent pas toujours aux moments les plus adaptés (je pense à une case où Leslie est au bout de sa vie mais où ce qu'on voit le plus est sa large poitrine qui occupe tout le centre). Ce genre d'incursion érotique féminine qui soit plus franche qu'une collection de femmes en mini-jupes, mais moins insistante et outrancière que du porno, est un équilibre que je ne croise pas si souvent et ça apporte pour moi un plus à cette BD.


Seulement voilà, vient un élément perturbateur qui va projeter Leslie dans son aventure, et toute la mise en place qu'on a eu aurait pu être remplacée par autre chose que ça n'aurait guère changé la suite. L'homophobie de la société ? Elle est rappelée en plusieurs occasions quand on revient chez les méchants, mais sans ça on l'aurait oubliée parce que la suite du récit n'est plus qu'une course au McGuffin qui aurait aussi bien pu être dénué de lien avec la répression de l'amour inter-espèces. L'acceptation de sa sexualité n'est plus à l'ordre du jour, tout tourne autour de Leslie qui a un fardeau faisant d'elle la cible de tout le monde. Ce fardeau est un pur cliché de manga, autant pour son sujet que pour son traitement largement balisé qui tue l'intérêt ("laisse toi aller au mal !" "non !" "si !" "non !"). Plus on approche de la fin et plus l'histoire est en pilote automatique avec des enchaînements de scènes dignes du montage de Star Wars IX et des résolutions sans imagination, parfois bien trop naïves ou même malavisées. Même la mise en scène devient fatiguée, un chapitre se termine sur un événement qui aurait dû se vouloir puissant mais qui se retrouve relégué à une petite case en bas de page, comme si l'autrice ne voulait pas faire semblant d'y croire à ce moment là.


Le dessin fait toujours plaisir et c'est chouette de voir l'évolution de Leslie, mais c'est bien tout ce qu'il y a à sauver dans la dernière partie. La société discriminatoire ? Un prétexte narratif, quelques explications faciles sur son origine en tant qu'outil de domination, le tout enrobé de quelques séquences de violences homophobes. Ces passages ont beau faire référence à de vrais phénomènes à combattre comme les camps de thérapie, leur traitement relève plutôt du torture-porn avec des dialogues au diapason, ce qui les rend fatigants pour qui n'est pas client de l'horreur en étalage. Contrebalancer tout ça par des moments de légèreté est bienvenu, mais cette fin neuneu est vraiment trop en décalage et achève le récit.


Si je ne descends pas en dessous de 5 c'est parce que le rythme et la qualité du dessin maintiennent un semblant d'intérêt à la lecture. Si vous n'êtes pas trop regardants sur certains clichés ou développements faciles et que vous ne bouffez pas de la dystopie au petit-déjeuner, peut-être que ça vous conviendra plus qu'à moi. J'ai envie de lire d'autres choses de l'autrice parce que je pense qu'elle peut raconter de bonnes histoires et que j'aime vraiment son coup de crayon et ses couleurs, mais j'ai l'impression que Contro Natura est son œuvre la plus populaire et ce n'est pas très rassurant.

thetchaff
5
Écrit par

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le 7 sept. 2020

Critique lue 289 fois

4 j'aime

thetchaff

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