Vous qui avez suivi peut-être malgré vous le feuilleton du Snyder Cut, vous n'avez sans doute pas besoin que l'on vous rappelle le contexte mais impossible de ne pas en toucher deux mots. Une telle ressortie 3 ans après l'original pour un blockbuster pareil c'est assez hallucinant. Il y a un an encore je croyais que ce serait au mieux un regroupement de storyboards et de scènes éparses sans CGI terminés pour se rendre compte de ce que ça devait être. Certains s'exaspéraient de voir Snyder communiquer autant sur ce qui semblait ne pouvoir être rien d'autre qu'un fantasme de fans et jouer avec leurs nerfs. Mais finalement il l'a fait, il a réussi à rassembler 70 millions de dollars pour refaire correctement son film. Tel qu'il aurait dû sortir initialement ? Sans doute pas vu sa durée de 4h et son contenu (on y reviendra), mais c'est bien un film complet et dans un état présentable, en tout cas terminé. Il est compréhensible de s'agacer de voir un tel foin autour, entre les fans qui s'attendent trop sûrement à un chef d’œuvre alors que Man of Steel et Batman v Superman sont loin de faire l'unanimité (en ce qui me concerne je les apprécie un peu, sans les conspuer ni les glorifier), la somme d'argent qui est investie pour refaire un film déjà vendu et les producteurs qui se présentent en sauveurs d'un désastre qu'ils ont eux-même déclenché. Les anti-Snyder n'auront pas manqué de se moquer du film et surtout de sa campagne marketing excessive, mais j'apprécie l'abnégation d'un auteur pour présenter son œuvre, la vraie. Mais ça ne suffit pas forcément à transcender le film initial, et les coups de patte qu'il a l'air de glisser pour retenir la porte sont bien voyants.
On nous a promis une totale redécouverte du film de 2017, lui qui n'aurait contenu que 25% des scènes de Snyder. C'est sans doute vrai, quand on passe de 2 à 4 heures de film en virant au passage quelques ajouts de Joss Whedon on a mathématiquement plus de la moitié des plans qui sont inédits. Mais il ne s'agit pas d'un nouveau film, juste d'une meilleure version de celui qui existe déjà. Ce n'est pas une nouvelle histoire avec de nouveaux arcs scénaristiques et de nouveaux enjeux, c'est une histoire mieux racontée. Et si cela fait déjà un paquet de défauts qui sont corrigés, cela ne suffit pas à en faire un chef d’œuvre caché comme le Dune de Jodorowsky.
Le squelette scénaristique de Justice League demeure le même, mais avec une plus grande exploration du passif de nombreux personnages qui étaient mis sur la touche et quelques réajustements de caractères. Le méchant Steppenwolf par exemple est moins grotesque, il ne susurre plus des mots d'amour à "Mère" et obtient une motivation propre qui lui fait du bien, mais ce n'est pas pour autant devenu une figure mémorable. Flash et surtout Cyborg profitent le plus de ce temps d'exposition supplémentaire et certaines scènes ont des enjeux un peu retravaillés grâce à l'ajout de nouveaux personnages secondaires sur la balance. On a des flashbacks qui offrent des morceaux de mythologie supplémentaires, le climax est mieux fait, quelques scènes inédites impressionnent notamment un moment de bravoure ahurissant avec Flash. Les personnalités de chacun peuvent être réadaptées, par exemple le passif de Barry Allen semble plus vaste que ce que suggérait le film de Joss Whedon (même si ça revient à supprimer l'un de ses rares ajouts que j'aimais bien) Tout ça c'est bien, mais c'est davantage de la redécouverte et de la correction que de la découverte pure.
On nous a annoncé Darkseid en grandes pompes lors de la com', mais c'est de la présentation de personnage en attendant sa véritable implication dans les suites initialement prévues de Justice League, celles qui ne viendront probablement pas. Ce sont ces suites que les fans ont fantasmé sans le savoir, ce Justice League est surtout une mise en place pour ce qui aurait dû être le diptyque Infinity War / Endgame de DC. Vous attendiez le Superman en costume noir ? C'est rigoureusement le même que celui que l'on a vu en 2017, mais avec un changement de couleur (et pas de moustache). Les lecteurs de comics sauront à quoi cela fait référence mais sinon la différence est purement esthétique, cela n'apporte pas d'arc narratif supplémentaire. On nous a aussi promis moult caméos, mais ils ont surtout la même fonction et les mêmes inconvénients que ceux de BvS : nous teaser le prochain film. Et c'est là qu'on vire à un point qui me turlupine beaucoup.
On parle souvent de cette mode des blockbusters dont l'objectif reviendrait majoritairement à nous vendre le prochain épisode, et c'est particulièrement vrai avec ce Snyder Cut alors qu'il n'a rien à nous vendre justement. On se souvient du Knightmare de BvS, ce cauchemar de Batman qui lui présente le monde tel qu'il serait si Superman devenait fou, avant que Flash n'arrive du futur pour le prévenir que Lois Lane serait "la clé". C'était du teasing non pour ce Justice League, mais pour ce qui aurait dû être le suivant, et on va en trouver d'autres traces ici qui s'imbriquent bien mal. Zack Snyder peut se permettre de faire durer son film aussi longtemps qu'il le souhaite, alors il le remplit au-delà du raisonnable avec des scènes du film suivant sous forme de Knightmares en guise de mise en bouche frustrante, scènes qui se retrouvent d'ailleurs dans les bandes-annonces de celui-ci comme autant de publicités mensongères. On peut se dire que c'est une façon de retarder ses adieux à son bébé qui ne grandira jamais, mais je soupçonne plutôt une tentative de faire monter la sauce pour que les fans mettent une nouvelle fois la pression pour reproduire le miracle du Snyder Cut. Après tout ce sont ces films qu'ils voulaient sans le savoir. Sauf que comme les scénarios prévus ont été rendus publics ça paraît improbable, mais le Snyder Cut l'était lui-même. Si le cœur vous en dit vous pouvez lire les descriptions détaillées de ces scénarios, accompagnés des croquis de Jim Lee (version traduite en français, version originale plus complète), de préférence après avoir vu le Snyder Cut. En effet il contient de nombreux éléments un peu mystérieux ou sujets à théories qui sont expliqués dans ces documents, pouvant constituer un spoil pour ceux qui voudraient se préserver leur fantasme. Néanmoins le matériau ne me paraît pas complètement perdu puisqu'on peut en trouver quelques bouts dans le dessin animé Justice League Dark : Apokolips War, qui clôture la continuité New 52 des productions animées de DC. Les idées non concrétisées d'un film se retrouvent dans un autre comme pour le Dune de Jodorowsky, toutes proportions gardées.
Maintenant qu'on a mis les choses au clair sur le vrai contenu du film et que l'on a remis les pieds sur Terre, qu'en est-il de sa qualité ? Eh bien disons qu'il ne fera changer personne d'avis à son sujet. Snyder fait du pur Snyder, les fans vont adorer (malgré la 4:3 qui restreint un peu l'action, mais auquel on finit par s'habituer car les cadrages sont lisibles) et les autres vont détester. On blaguait sur le fait que ses films sont aussi longs à cause de ses ralentis, mais moi qui n'y suis pourtant pas réfractaire j'ai vraiment senti un abus à ce niveau durant la première heure. C'est bien de vouloir iconiser une action réussie avec un freeze pour simuler des planches de comics, mais quand ça dure 5s et que ça se déclenche pour tout et n'importe quoi ça ne marche plus. Quand tout est surligné, plus rien ne l'est. Superman hurle ? Ralenti. Wonder Woman lance une valise ? Ralenti de 5 s pour bien voir la valise et la tête de Diana. On nous fout même un ralenti pour une graine de sésame numérique qui tombe en gros plan vers la caméra, on dirait une parodie. Heureusement cela finit par se calmer, mais vous aurez d'autres tics de Snyder présents à fond les ballons. Il nous réserve malgré tout quelques moments superbes au milieu d'autres beaucoup plus discutables, ses scènes d'action sont bien emballées (je ne comparerai pas avec la version 2017 pour cause de souvenirs lointains), et sa réalisation peut souffler le chaud et le froid. Disons qu'il y a des idées assez chelou comme cette façon de présenter la scène d'ouverture, compréhensible sur le papier et avec une lenteur qui sert l'ambiance flottante, mais assez risible à l'écran et interminable. Et puis à un moment il nous filme une discussion avec des flous et des cadrages qui arrivent étonnamment à générer un sentiment de malaise, ça détonne positivement avec le reste du métrage, mais c'est lors d'une scène faisant intervenir le plus affreux des caméos (vous savez de qui je parle, le son de sa voix m'a trigger en une onomatopée dégueulasse) et en plus ce moment est inséré au forceps. De nombreux moments font rire sans que l'on ne sache trop si c'est voulu ou non, dans le doute je m'en amuse mais ça peut facilement désarçonner. Je préfère cependant un film avec des idées bancales et bizarres à un film sans idées, d'autant que les intentions de Zack Snyder ne se décryptent pas toujours aussi bien qu'il n'y paraît. Par exemple quand j'ai vu la bande annonce de son Snyder Cut avec Hallelujah en musique, j'ai cru comme tout le monde que c'était une manière de dire que son film était miraculé et revenait d'entre les morts. J'ai trouvé ça vraiment pompeux et ridicule, jusqu'à ce que j'apprenne que c'était en fait la musique préférée de sa fille Autumn, qu'elle était jouée à son enterrement après son fameux suicide et que c'était la manière de Zack de lui dédier cette ressortie (source). Tout de suite ça calme.
Si le scénario est amélioré par les meilleures expositions de personnages et la suppression des rustines scénaristiques de 2017, ce n'est pas non plus spécialement flamboyant. L'écriture n'est pas ouf (le méchant lâche un truc du genre "It's the beginning of the end"), les scènes supplémentaires ne sont pas mieux gérées que dans le Snyder moyen, quelques plot holes restent (on nous donne une raison sur le réveil soudain des boîtes-mères, mais elle ne tient pas quand on se rappelle qu'elles sont sur Terre depuis quelques milliers d'années) et ça manque de cœur. Le réalisateur tente d'en apporter avec Cyborg et dans l'idée que tous ses personnages tentent de combler un vide, notamment parental, eux qui doivent courir après des boîtes-"mères", mais cette ligue manque encore d'unité. Les moments de partage entre ses membres paraissent bien peu nombreux au regard de la durée du film et surtout elles manquent de liant dans leur insertion.
Il y a pour moi un soucis de remplissage. J'ai encaissé les 4 heures d'une traite sans forcer donc c'est plutôt bon signe, mais j'ai malgré tout eu l'impression que beaucoup de scènes étaient présentes parce que le réalisateur n'avait pas de contrainte de durée plutôt que par véritable importance. On nous montre longuement les amazones qui transmettent un message à Wonder Woman, mais cela pouvait facilement être réduit. On nous montre l'historique d'une boîte-mère, mais cela pouvait rester caché. On nous fait du (long) teasing pour une suite qui ne sortira pas. On fait durer quelques séquences qui parfois en profitent, et parfois s'endorment dans leur ralenti. Je pense qu'on aurait facilement pu enlever 1h à 1h30 sans que cela ne se ressente sur la qualité, mais ça c'est parce que l'ami Zack ne voulait pas lâcher son jouet sachant qu'on ne le lui rendrait jamais.
Zack Snyder's Justice League n'est pas à la hauteur de la somme d'espérances qui lui a été collée. Ce n'est pas non plus un mauvais film, mais il ne contentera que les inconditionnels du cinéaste. Pour les autres c'est un témoignage, éventuellement la réparation (coûteuse) d'une injustice, mais le film prévu à la base n'était pas non plus incroyable. Sa quête demeure assez basique, ses personnages ne tiennent pas le film sur leurs seules épaules, sa durée joue contre-lui, il alterne les grands moments avec des instants plus idiots et il présente plus qu'il ne développe. Il est plus présentable que celui de 2017 mais il laisse sur une impression de "tout ça pour quelques bagarres contre des para-démons", malgré des fulgurances qui nous font dire qu'on n'est pas complètement venu pour rien.