Crépuscule constitue le neuvième et dernier tome de la série Amours fragiles signée Jean-Michel Beuriot (dessin) et Philippe Richelle (scénario), avec ici une mise en couleurs par Dominique Osuch. Une série commencée il y a vingt-deux ans, avec la parution des premières planches dans la revue (À SUIVRE).


Arrive la fin de la guerre, son crépuscule, période logique pour terminer la série, même si les auteurs se défendent d’avoir travaillé à une série historique. Le titre général justifie leurs intentions, et ce d’autant plus qu’ils y ont longuement réfléchi au moment de s’engager dans cette voie. Ceci dit, les spécialistes ne s’y trompent pas en soulignant que la série est remarquable d’un point de vue historique, puisque les auteurs respectent aussi bien la véracité des faits, les circonstances parfois jusque dans d’infimes détails et aussi tout ce qui constitue les costumes (celui d’un avocat allemand par exemple) et les décors. Par petites touches, ils parviennent à faire sentir beaucoup de points importants dans la description de cette période. C’est vrai par exemple d’un point de vue psychologique et la réussite de la série tient au fait que nombre de personnages illustrent les différents cas de figures observés pendant cette période. De plus, les auteurs évitent de tomber dans la représentation archétypale, car les portraits psychologiques des personnages principaux se révèlent complexes et subtils. Autant dire que les neuf albums de la série méritent d’être parcourus plus d’une fois, pour bien faire le lien entre les événements et les personnages, comprendre l’enchaînement des circonstances et l’évolution des personnages, apprécier la valeur de chaque détail.

Ainsi, dans ce dernier épisode, on voit Martin (Allemand horrifié par le nazisme, rappelons-le) s’éloigner un peu d’Hilda qui l’a pourtant hébergé clandestinement alors qu’il risquait gros quand son ami Fredi était interrogé avant d’être exécuté pour avoir conspiré contre Hitler. On peut dire que, d’une certaine façon, Martin doit la vie à Hilda qui a pris de gros risques personnels pour le cacher (voir l’épisode précédent quand Hilda se cache de sa sœur Margrit, alors que Martin finit par conclure un pacte avec Gerd – le mari de Margrit – qui vient de le découvrir dans sa cache). Mais ensuite, Hilda a reproché à Martin d’être « naïf et faible » ce qu’il a du mal à encaisser. Touché au vif, Martin va trouver l’occasion de se révéler à lui-même.

Période trouble

L’immédiat après-guerre voit une ambiance très bizarre s’installer dans l’Allemagne vaincue. Les caractères se révèlent, avec la volonté de la majorité de penser à l’avenir, que ce soit en sauvant sa peau ou simplement en se réservant une porte de sortie. L’album rend bien compte de la complexité de la situation. Et encore, il n’est même pas question ici de la division en quartiers (contrôlés par la France, l’Angleterre, les États-Unis et l’Union soviétique) de la ville de Berlin. Les auteurs s’intéressent aux personnages qu’on connaît déjà.

La situation n’est pas brillante pour Katarina qui se faisait discrète à Lyon dans un appartement avec une amie. Finalement, même pas assez discrète, car les deux amies font l’objet d’une dénonciation… Et si elles peuvent échapper à la vindicte grâce à de discrètes protections (dont celle d’un personnage assez trouble), certains observent tout et ne s’embarrassent pas de principes. La confusion aidant, la période est aux éliminations brutales, parfois en toute impunité.

Martin au milieu de l’hypocrisie générale

Dans ces conditions, l’Allemagne devient la proie des combinards de toutes sortes, que ce soit dans les tribunaux (où il est question de dénazification) avec la production de faux témoignages ahurissants ou bien dans la vie de tous les jours avec l’émergence d’un trafic du type marché noir.

L’un des personnages féminins se livre même à la prostitution, allant jusqu’à oser dire à l’une de ses connaissances que ce travail lui convient. Rare confidence qui mène à un drame ! C’est dire combien l’atmosphère générale est dominée par l’hypocrisie. De nombreux ressentiments se font jour et Martin peut s’estimer heureux de s’en sortir.

Un ensemble marquant

Même si la victoire revient au camp des alliés, cet album réserve une conclusion douce-amère à la série. En effet, ce sont des êtres humains qui ont traversé une sale période et nul n’en sort indemne. Crépuscule a le mérite de s’intéresser avant tout à ce qui se passe en Allemagne immédiatement après la défaite, choix judicieux puisque cette période est relativement méconnue pour nous français.

En ce qui concerne les amours du titre général, la relation entre Martin et Katarina illustre parfaitement le côté doux-amer évoqué. Qu’ils s’aiment ne suffit pas à les réunir définitivement, car rien ne pourra effacer ces années où ils ont vécu et dû faire de nombreux choix.

Martin se montre finalement plus fort de caractère que ce que Hilda avait sous-entendu précédemment et c’est tout à son honneur. Toujours en osmose, les auteurs se montrent donc à la hauteur de l’ensemble élaboré tout au long de la série, en livrant une conclusion qui peut se lire comme une leçon de vie. Cet ultime épisode laisse d’abord une impression mitigée avec ses intrigues multiples, pour finalement se révéler tout aussi marquant que le précédent par exemple, son épaisseur (soixante-douze planches), justifiée, permettant le vaste tour d’horizon qui s’imposait pour conclure.


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

Electron
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Amours fragiles par Beuriot et Richelle et Les meilleures BD de 2023

Créée

le 5 oct. 2023

Critique lue 34 fois

7 j'aime

Electron

Écrit par

Critique lue 34 fois

7

Du même critique

Un jour sans fin
Electron
8

Parce qu’elle le vaut bien

Phil Connors (Bill Murray) est présentateur météo à la télévision de Pittsburgh. Se prenant pour une vedette, il rechigne à couvrir encore une fois le jour de la marmotte à Punxsutawney, charmante...

le 26 juin 2013

113 j'aime

31

Vivarium
Electron
7

Vol dans un nid de coucou

L’introduction (pendant le générique) est très annonciatrice du film, avec ce petit du coucou, éclos dans le nid d’une autre espèce et qui finit par en expulser les petits des légitimes...

le 6 nov. 2019

79 j'aime

6

Quai d'Orsay
Electron
8

OTAN en emporte le vent

L’avant-première en présence de Bertrand Tavernier fut un régal. Le débat a mis en évidence sa connaissance encyclopédique du cinéma (son Anthologie du cinéma américain est une référence). Une...

le 5 nov. 2013

78 j'aime

20