Megumi Ayase est une "idol" au sens japonais du terme, c'est-à-dire qu'elle est une jeune chanteuse propulsée au rang de star par sa société de production, la Parthenon Production, dirigée par Shingo Tachibana. Un beau jour, la domination sans partage qu'elle exerce sur le marché de la musique se voit contestée par l'apparition de Creamy, dont la popularité est telle qu'elle en éclipse son ainée auprès du public, mais également et surtout auprès de Shingo.
Megumi doit alors faire face à cette nouvelle rivalité, non sans éprouver une certaine jalousie envers cette nouvelle qui apparaît comme par magie et lui rafle tout.
(Note : Cette critique porte sur l'ensemble de l'oeuvre, parue en 7 tomes)
"Dans l'ombre de Creamy" est donc un spin-off de l'anime "Creamy, merveilleuse Creamy", diffusé au Japon en 1983 et arrivé en France en 1988 sur feue-La Cinq par le biais d'une importation en Italie, la chaîne française appartenant, tout comme Canale 5 de l'autre côté des Alpes, à Silvio Berlusconi. "Creamy" fait donc partie de ces séries animées japonaises issues d'une adaptation italienne que de nombreux téléspectateurs plus ou moins jeunes ont pu découvrir sans passer par le fameux Club Dorothée, comme "Captain Tsubasa" (Olive et Tom), "Attacker Yû!" (Jeanne et Serge) ou encore "Aishite Night" (Embrasse-moi Lucile).
L'anime, produit par le Studio Pierrot, est le précurseur des séries de type "Magical girl" et nous narre l'histoire de Yû Morisawa, une petite fille de 10 ans, qui, recevant un pouvoir magique, devient capable de se transformer en adolescente de 16 ans. Dès lors, repérée par Shingo, elle devient une "idol" sous le nom de Creamy Mami.
"Dans l'ombre de Creamy" en reprend l'histoire mais se place sous le point de vue de Megumi Ayase, la "idol" éclipsée par Creamy, et nous fait vivre la manière dont elle a dû gérer cette concurrence, ignorant qu'elle provient d'un pouvoir magique.
Et la première crainte qu'on a quand on a ce titre en main, c'est de se retrouver avec un manga qui surfe sur une vague de nostalgie, réécrivant une histoire existante sans y apporter grand chose, juste en prenant un personnage secondaire pour le porter en protagoniste principal. On démarre la lecture sans réelle conviction et davantage porté par la curiosité... avant de réaliser que la mangaka Emi Mitsuki s'est bel et bien attachée à écrire une histoire de manière à faire de Megumi Ayase une vraie héroïne.
Avant de poursuivre, il faut quand même préciser que le personnage de Megumi a ceci de particulier qu'il est doté d'un potentiel palpable que la série animée "Creamy" n'a jamais réellement chercher ni à utiliser ni à masquer. Elle a été créée pour être la rivale de Creamy, celle qui est tout son opposé et qui subit de plein fouet sa concurrence. A l'inverse de Creamy, candide, douce et présentée comme mignonne et pure, Megumi s'avère impulsive, dotée d'un fort caractère, et n'hésite jamais à offrir des baffes à Shingo, pourtant son supérieur hiérarchique.
C'est notamment Megumi qui sera la première à avoir des doutes sur l'identité de Creamy et elle sera le personnage qu'on verra sur le point de découvrir, sans succès, le secret des pouvoirs magiques de Yû.
Elle se pose donc clairement comme un obstacle à Yû/Creamy. Mais elle a en même temps un côté intéressant, qui lui a peut-être été attribué bien involontairement (ou pas ?) par le Studio Pierrot.
Car, rappelons-le, la série animée est adressée à un public jeune et a aussi pour objectif de faire la promotion d'une vraie "idol" sur le sol japonais, en la personne de Takako Ōta, prêtant sa voix à Creamy. A ce titre, elle a un ton très positif et les thèmes abordés sont portés sur la magie et la féérie, plus que sur le fait de gérer une carrière dans le show-biz.
Megumi est l'opposée de Creamy, mais hors de question pour autant d'en faire un personnage malveillant pour autant : elle n'ira jamais mettre en péril la carrière de sa rivale et la reconnaîtra en tant que telle. En outre, Creamy ne peut pas avoir une histoire d'amour avec son producteur Shingo, pourtant séduisant et réputé homme à femmes, car il serait quelque peu malvenu qu'un récit adressé à un public jeune fasse état d'une romance entre un adulte et une fillette de 10 ans (même si elle en a 16 en apparence).
Shingo ne tombe pas amoureux d'elle et la série animée insinue plutôt qu'il éprouve des sentiments pour Megumi, qui plus est de manière réciproque.
En somme, Megumi est une rivale mais pas une antagoniste. Elle perdra la plupart du temps face à Creamy, ce qui sera l'occasion de scènes comiques, mais la série ne l'affiche jamais comme une perdante.
Un fort caractère en apparence qui masque une bienveillance réelle, un côté adulte qui tranche avec la candeur de Creamy, un ancrage dans la réalité qui en fait un personnage non-magique capable de se hisser au même niveau de star que la "magical girl", et des sentiments réciproques qui se développent : les ingrédients sont réunis pour faire de Megumi un protagoniste bien plus intéressant que ce que "Creamy, merveilleuse Creamy" nous en montre.
Emi Mitsuki a bien saisi le potentiel de ce personnage secondaire, et ne va pas se contenter de simplement réécrire les histoires de Creamy. Bien au contraire...
On recommande donc de regarder la série "Creamy, merveilleuse Creamy" avant de lire ce manga, et on juge même cette étape indispensable : "Dans l'ombre de Creamy" tourne réellement autour de Megumi Ayase et se place selon son point de vue. La notion de magie y est peu présente, et les intrigues supposent que le lecteur a vu les épisodes concernés.
Néanmoins, le manga a l'intelligence de ne traiter judicieusement que des parties impliquant directement Megumi, donc il n'est pas nécessaire de regarder la série en entier : les épisodes clés peuvent suffire... mais cela implique le premier et le dernier. Donc autant tout regarder. :)
Puis, quand on démarre la lecture du récit, on réalise qu'il traite le vécu de Megumi comme si l'histoire avait été écrite pour elle, telle qu'elle le vivrait : tout comme elle, on ne voit pas les transformation de Yû en Creamy, on ne voit pas Posi et Nega parler, on ne voit quasiment jamais Toshio et encore moins Midori, les différentes apparition de Creamy et de Yû ne sont pas réellement expliquée...
Et surtout, il développe le personnage de Megumi tel que ne l'a jamais fait la série animée originelle : on y découvrira son passé et on suivra son idylle naissante avec Shingo, dont on finira par comprendre qu'il ne l'avait jamais vraiment mise de côté.
Le ton est moins magique et féérique, il est même un peu plus adulte : on y verra comment Megumi s'est hissée à son statut de star et comment elle a fait face à la jalousie de ses concurrentes.
On comprendra aussi que s'il lui est arrivé de comploter avec Snake Joe, c'est surtout parce qu'il a su profiter de ses instants de doutes, et on devient un peu plus empathique avec elle.
"Dans la peau de Creamy" est donc bien plus qu'un simple renversement de point de vue : c'est une histoire à part, développant un personnage sous-exploité qui aurait pourtant pu mériter mieux... même si l'OAV "Long goodbye", justement, commençait à lui rendre quelques unes de ses lettres de noblesse. Ce dernier, justement, sera traité dans le tome 7, le dernier de la série.
Le manga, paru près de 30 ans après la diffusion de l'anime au Japon, s'adresse à ceux qui ont regardé ce dernier à la télévision dans les années 80-90, et de manière très judicieuse, il emploie un ton qui semble prendre en compte le fait que son public serait potentiellement des enfants ayant grandi entretemps, avec une orientation plus romantique que magique. C'est bien vu.
On pourra toutefois regretter que l'histoire n'aille pas plus loin, alors qu'il y avait largement matière à raconter d'autres intrigues. En effet, si le manga avait déjà pris la liberté de parler du passé de Megumi, on aurait donc pu espérer qu'il en fasse davantage sur son couple avec Shingo, sur sa gestion de l'après-Creamy, ou même si sa relation avec Ina Kawai, personnage créé pour l'occasion. On a même un peu l'impression que Emi Mitsuki a été freinée par quelque chose, car elle développe une histoire inédite sur plus d'un tome au début du récit, puis revient sur le récit originel sans en ressortir jusqu'au bout de la série.
C'est dommage, et un peu frustrant.
Cela n'ôte toutefois pas l'intérêt de ce manga, qui vaut quand même le détour et qui complète très bien la série de magical girl d'origine. On vous en recommande la lecture si le mot "pampililu" vous parle et que vous avez toujours eu envie de comprendre le personnage de Megumi Ayase... ce qui, à titre très personnel, était mon cas : le revisionnage de "Creamy, merveilleuse Creamy" avec des yeux d'adulte m'a fait intéresser au personnage de Megumi dont j'aurais aimé un développement plus conséquent, ce que ce manga fait.