Deuxième collaboration entre Nathalie Ferlut et Tamia Baudoin après le latinisant « Artemisia », « Dans la forêt des lilas » lorgne cette fois vers le gothique et les brumes anglaises, et on peut affirmer que c’est une réussite, de façon bien plus évidente que le précédent opus, que l’on sentait corseté par un souci de vérité historique. Rien de tout cela ici, la place est à l’imagination et au monde de l’enfance. Doté d’une très jolie couverture avec incrustations dorées, cet album, où le merveilleux côtoie le vénéneux, envoûte son monde d’entrée de jeu. À Tamia Baudoin, on pardonnera très vite les petites maladresses du trait, tant l’aspect global nous laisse ébahi. Quand la BD se rapproche de la peinture, l’œil est comblé… Si dans « Artemisia », on percevait déjà chez l’artiste une forte personnalité graphique, celle-ci explose littéralement ici, tel un feu d’artifice s’épanouissant dans un ciel étoilé. Le spectre des couleurs y est extrêmement riche, même si celles-ci sont plus souvent sombres.


« Dans la forêt des lilas », c’est l’histoire de deux sœurs que tout oppose. D’un côté, Verity l’ainée, dont le seul but a toujours été de fuir l’environnement familial étouffant pour mener une vie aisée et « normale » à la ville. De l’autre, Faith, qui refuse d’être adulte et se réfugie dans le monde de l’enfance, un monde devenu inquiétant avec l’apparition d’une créature maléfique, symbolisant la maladie qui lui ronge les poumons. Faith, surnommée Comtesse par son défunt père, aime secrètement l’époux de sa grande sœur, Anton, et cet amour semble réciproque, mais Faith ne veut pas se l’avouer. Verity quant à elle semble plus préoccupée par la vente du cottage familial, ne voyant qu’en Anton le co-fondateur du foyer tant rêvé et le géniteur de ses enfants. Quand elle propose à Comtesse de venir habiter à Londres, celle-ci refuse catégoriquement, préférant s’accrocher à la maison qui l’a vue grandir et à la compagnie de Minon, le prince-chat, et de Biche, la fée. Alors que le temps presse, la rupture entre les deux sœurs semble inévitable, laissant augurer la tragédie…


C’est un très beau récit que nous narre ici Nathalie Ferlut, qui semble aussi à l’aise avec la plume que les pinceaux. Magnifiquement traitée d’un point de vue graphique, cette fable gothique parle de la perte de l’innocence et de la maladie (celle de Comtesse) avec une immense délicatesse. Parallèlement, on observe la relation tendue de ces deux sœurs très différentes qui semblent irréconciliables, jusqu’à ce dénouement, inattendu et bouleversant… C’est un vrai bonheur de se laisser porter vers cet imaginaire aussi inquiétant que foisonnant, empreint d’une grandes poésie, où les terreurs enfantines y apparaissent comme liées à la crainte du passage à l’âge adulte et des lendemains funestes…

LaurentProudhon
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le 6 janv. 2020

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