Les fastidieuses aventures juridiques de Spirou
J'attendais beaucoup de ce nouvel épisode de Spirou et Fantasio. Déjà, parce que les précédents de Yoann et Vehlmann m'avaient laissé un goût de trop peu, de presque ça, mais de pas tout à fait encore. Et je dois dire que la couverture du 53e tome fait bien envie. Cette maison en forme de V, c'est joli. Et avec la turbotraction de retour, ben on s'imagine, on croit un instant, on espère presque du Franquin.
Vaste blague.
Les dessins sont déjà archi-brouillon et pas du tout lisibles. Les décors sont souvent absents et quand ils mériteraient d'être travaillés (l'arrivée sur l'île par exemple demandait, non, exigeait des cases plus grandes et bien mieux faites que ça) elles sont vraiment petites et bâclées. Bref, le style graphique qui m'avait laissé froid dans les tomes précédents m'a pris à rebrousse-poil avec celui-ci.
Mais les dessins ne sont qu'un accessoire au service de l'histoire. Et malheureusement ici, Spirou fait n'importe quoi.
(1) Juridiquement parlant, on est face à des aberrations. Avec Spirou, on est en Belgique ou en France. D'ailleurs, les robes des avocats et des juges le montrent bien. Mais alors pourquoi le président du tribunal a un marteau ? Pourquoi avoir voulu faire une procédure à l'américaine ? Depuis quand détruire l'exemplaire d'un contrat suffit-il à l'annuler ? Ces raccourcis sont ridicules. Clairement, on a voulu insuffler à Spirou le souffle épique des séries américaines. Mais c'est complètement artificiel et raté. Spirou est Spirou parce qu'il est belge et bruxellois. Je me doute bien que pour coller à la réalité il aurait fallu faire des recherches. Mais passer autant de temps sur des arguties juridiques (fausses et lassantes) ne suffit pas à masquer le creux phénoménal de cet album.
(2) La finance en prend pour son grade. À coups d'actionnaires, de conseils d'administration, de capitalisme, tous ces concepts mal compris et mal fichus qui affaiblissent l'histoire. C'est donc à ça qu'en est réduit Spirou, qui a combattu des tyrans, des savants fous et vécu des aventures partout ? À se cacher aux yeux du monde et à lutter contre des spéculateurs ? Notons que les spéculateurs sont très vilains : ils privatisent tous les services possibles et ont déplacé les populations locales dans le cratère d'un volcan. En 2013, on pourrait espérer des aventures de Spirou plus subtiles et complexes que celles de Franquin ou Fournier, mais on y a pas le droit.
(3) L'auto-référence autour du journal de Spirou est un peu usante tant elle occupe une place importante dans l'album. La plupart du temps, la présence du journal était une introduction légère à une aventure plus grande remplie de clins d'œil. Ici, cela sert finalement à appauvrir l'aventure. Les personnages nouveaux orbitant autour du journal (Ninon, Cœur-Vaillant) sont d'une médiocrité hallucinante et sont au mieux des artifices scénaristiques, au pire, des pertes de temps.
(4) La multiplicité de références assoient également ce Spirou dans une époque bien définie ce qui fera vieillir cet album à toute vitesse. Ça tweete à tout va dans une volonté de moderniser une série qui n'en a pas besoin.
J'ai donc été particulièrement déçu par cet album médiocre. Malgré tous les affreux albums qui sont venus avant, c'est bien la première fois que je me dis que Spirou est bon pour la retraite.