Critiques séparées des différents récits composant cette anthologie indispensable autour de Daredevil.

[Spider-Man aveugle]
Deux numéros de Spider-Man écrits par Bill Mantlo et dessinés par Frank Miller avec un team-up entre Spidey et Daredevil. Une bonne surprise, surtout qu'on retrouve le maraudeur masqué, cet ennemi ringard qui était leur adversaire lors d'une des premières rencontres du duo dans des numéros très réussis par Stan Lee et Romita Sr.

Ici donc retour du team-up face à leur ancien adversaire, mais cette fois, Spider-Man a été rendu aveugle à cause d'une rafale optique de leur ennemi. On se retrouve donc avec deux super héros aveugles et Daredevil qui guide son compère. Le scénario est vraiment efficace et offre son lot de bons moments, surtout qu'en parallèle, Mantlo pose des éléments pour la suite de sa saga, permettant un côté vraiment feuilletonnant et pas une écriture en arc. En tout cas y a de l'action et du suspense, ça manque peut être juste d'un peu plus de quotidien de Parker qui est là plus absorbé par sa vie de Spider-Man.

Niveau dessins, Miller rapelle qu'il se débrouille très bien. On voit clairement qu'il est plus à l'aise avec Daredevil, où il peut jouer avec les noirs de son costume et son visage, là où le côté coloré de Spider-Man et son masque stylisé l'empêche de vraiment livrer des dessins impressionnants. Il livre en tout cas déjà son lot de belles cases, de beaux mouvements et à même plusieurs idées de plans assez astucieuses (notamment au niveau du radar de Daredevil). Il n'est pas aussi inventif qu'il le sera après, mais c'est déjà intéressant. [7]

[Badlands]
Un One-Shot de Daredevil vraiment très particulier et très brillant que nous concoctent ici Miller et le légendaire John Buscema. Vous vous attendez à une histoire de super héros ? Vous aurez ici un western moderne. Un étranger débarque dans une ville paumée des states, en proie à pas mal de soucis, et il va se retrouver mêlé à tout ça.

Miller, comme d'habitude, offre une narration soignée. Ses personnages sont travaillé et le drame qui se joue dans cette ville pourrie, bien qu'assez classique, et réaliste et prenant. On reconnaît dans l'histoire celui qui écrira plus tard Sin City. Mais le côté le plus virtuose et d'avoir mis cette histoire complètement non super-héroïque, à la dimension sociale poussée, dans le cadre des aventures mensuelles de Daredevil. On découvre un Murdock plus Clint Eastwoodien mais pas désagréable pour autant.

En plus cette histoire est servie par le dessin typiquement américain et virtuose de Buscema, qui achèvent de faire de ce one-shot un chef d’œuvre étrange et sûrement unique dans la carrière du diable rouge. [8]

[Le Gladiateur]
Je pensais que Miller nous avait déjà pondu un excellent numéro avec Badlands, mais ce numéro sur le Gladiateur concocté avec son compère Mazzucchelli, est encore mieux ! A chaque fois que je replonge dans du Miller, je suis obligé de me rendre compte de son talent monstre, surtout quand il est associé à ce dessinateur de talent qu'est Mazzucchelli. Son style est incroyablement moderne et n'a pas pris un ride. Il maîtrise les narratifs comme aucun autre, qu'il soit à la 3e ou à la 1ere personne, et il peut nous raconter n'importe quoi, on est emporté. C'est quand même l'un des rares comics où un type nous raconte qu'il aime prendre un douche dans des grands blocs narratifs et où l'on est passionné.

Miller a tout compris au personnage de Melvin Potter qui est vraiment bon dans ce numéro, et très attachant. Tous les personnages sont incroyablement soignés d'ailleurs. Foggy n'est pas un personnage ridicule (pas comme quand Quesada le dessine dans Guardian Devil) et suivre l'histoire de son côté est sympa aussi. Quant à Daredevil, le personnage est vraiment là avec tous ses défauts, et un côté colérique qui le rend vraiment humain et intéressant à suivre. Certains moments, comme quand il dit n'avoir jamais aimé être avocat, sont assez étonnants, mais montre bien toute la dualité de ce personnage qui bien qu'au barreau le jour, se sent le besoin d'enfiler le costume la nuit pour que justice soit faites.

Bref, un excellent numéro de la part de Miller et Mazzucchelli, qui se termine d'ailleurs d'une très belle manière. Les deux compères sont des maîtres, et dans le récit suivant, Born Again, ils signent sûrement leur meilleur collaboration. [9]


[Born Again]
Ce récit en 6 parties est un pur chef d'oeuvre. Je viens de le relire, et je me suis repris une claque. Un tel niveau de maîtrise est quasiment indécent. En 1986, Miller est à son meilleur niveau scénaristique, il a signé la même année The Dark Knight Returns et Year One, avec Mazzucchelli, qui l'aide aussi dans cette saga. Mazzucchelli est déjà brillant, surpassant lui aussi ses compères d'une coudée, et pourtant, il sera encore plus brillant, quand il sortira Asterios Polyp des décennies plus tard.

Ce Daredevil Born Again est une œuvre d'une qualité rare, les deux auteurs y narrent la chute de Daredevil et Matt Murdock suite à un plan du Caïd qui vient d'apprendre son nom. C'est une véritable descente aux enfers, véritablement vertigineuse qui se fait pour Matt et ceci en un rien de temps. Le Caïd n'aura jamais été aussi diabolique et charismatique, et en plus, sous les traits de Mazzucchelli il n'est même pas grotesque, il est beau et classe, même en slip violet.

C'est ça qui est grand avec le style du dessinateur, quasiment tous les personnages ont l'air nobles et attachants. Et grâce au script de Miller, on ressent la personnalité de chacun, on voit leur vie. Que ce soit Foggy, Ulrich ou Glori... Même Jameson laisse tomber son masque de caricature pour devenir un personnage classe dans cette histoire.

Les temps forts se multiplient tout au long du récit, au même rythme que les trouvailles narratives s'alignent. Toute la puissance du personnage de Matt Murdock est mis en évidence face à la machination gargantuesque du Caïd dont le pouvoir et la cruauté semblent sans limite. La mise en page, le choix des plans est virtuose. L'encrage de Mazzucchelli est vif, et de plus en plus lâché au cours de la saga, mais toujours d'une énergie folle, d'une puissance rare et d'une précision intense quand la situation l'exige. Même la couleur, faisant avec les limitations de l'époque, est brillante. Audacieuse à l'extrême, jouant avec des lumières complètement pop et des ambiances puissantes.

Ouvrez d'autres comics de la même époque et vous verrez, ça risque d'être moins puissant. En plus le récit de Miller est, comme à son habitude, d'une redoutable modernité et n'a absolument pas pris un ride, surtout dans son écriture. C'est un chef-d’œuvre intemporel à lire absolument, qu'on soit fan de lecture super-héroïque ou non. En plus, aucun prérequis n'est nécessaire pour lire l'histoire, alors n'hésitez plus et lisez ce récit. [10]

[Guerre et Amour]
En lisant Born Again, je me disais que Miller ne pourrait pas faire mieux sur Daredevil. Sûrement. Mais il pouvait faire aussi bien, comme le démontre brillamment le graphic novel Guerre et Amour qui est un véritable délice. En plus, j'ai découvert par le biais de ce récit le dessinateur Bill Sienkiewicz, dont j'avais déjà entendu parlé en bien dans divers articles, qui livre ici des planches phénoménales. Son style est résolument unique et donne une ambiance toute particulière à cette histoire.

Déjà il y a sa mise en couleur, faites lui même, qui évite les aplats criards de l'époque. A la place on une colorisation vraiment magnifique, très douce et pop à la fois. Ses cases peintes sont vraiment un délice, tantôt réalistes, tantôt complètement grotesques et psychédélique, on est vraiment embarqué dans cet univers totalement dingue, rude et doux et poétique en même temps. Son Caïd est rond et grotesque, complètement impuissant et quasiment attendrissant, là où son Daredevil est un vrai surhomme. Cheryl et Vanessa sont de vrais princesses et ce dingue de Victor est complètement difforme avec ses yeux rapprochés et son visage qui rappelle un mandrill. Bref le boulot de Bill Sienkiewicz est vraiment magnifique, très radical par rapport à ce qu'on lit d'habitude, mais ça ne fait pas mal, et c'est complètement au service de l'histoire de Miller.

On ne s'étonnera pas, mais le scénariste maîtrise encore une fois son sujet. Il a toujours cette aisance pour passer d'une narration interne d'un personnage à une autre, sans jamais perde le lecteur, c'est toujours incroyablement moderne (on voit l'influence que sa façon de raconter à eux sur les scénaristes), et le récit se lit d'une traite et on a un grand plaisir à suivre ses personnages fascinants, tous différents dans leur manière de penser. La star du bouquin est évidemment Victor, complètement shooté et taré dont les pensées partent dans tous les sens et dont le comportement est quasi imprévisible. Mais on a aussi de très belles scènes de Daredevil, toujours très héroïque.
La fin du récit est vraiment grandiose, même si elle est en même temps très dure, et achève de faire de ce récit un incontournable du Diable Rouge.

Et encore une fois, je recommande ce récit à tous, il est parfaitement accessible à tous genre de lecteurs, sauf les plus jeunes vu que le propos est parfois un peu adulte (même si c'est fait avec une certaine élégance). Bref, Daredevil Guerre et Amour, c'est à lire absolument. [10]


[The Man Without Fear]
En duo avec John Romita Jr., Miller s'occupe cette fois-ci de la jeunesse de Daredevil. Comment le jeune homme a été amené à devenir le justicier déguisé en diable ? Vous le découvrirez dans cet album qui retrace la vie de Murdock de ses 10-12 ans à la première fois où il enfile le costume.

Même si c'est un bon récit, ce n'est pas le meilleur de Miller sur Daredevil. Peut-être est-ce dû à l'assiociation avec un artiste moins virtuose (personnellement je trouve le trait et la narration de Romita Jr bien en deçà de ce qu'ont pu faire des artistes comme Mazzucchelli ou Sienkiewicz), peut-être est-ce dû à cette colorisation froide et pas toujours élégante (faite sûrement aux débuts de la colorisation informatique) ou peut être que Miller était déjà sur la pente descendante quant à son talent d'écriture, pente qui allait l'amener à The Dark Knight Strikes Again une décennie après...

Toujours est-il que si le récit marche bien, l'alchimie auteur-dessinateur est moins là, la narration moins virtuose. Après, cette introspection du passé de l'univers de Daredevil reste plus qu'intéressante, on y voit l'enfance de Matt, la personnalité de son père, la rencontre avec Stick, l'université avec Foggy et Elektra, l'ascension du Caïd... C'est assez passionnant.

Mais il y a des trucs qui clochent. Certains passages sont trop rapides, manquent de naturel. Les scènes d'actions sont nombreuses mais manquent de passion et globalement, je dirais que ce qui pénalise le plus ce récit est qu'on manque d'empathie pour Murdock. Il en voit des dures mais pourtant tout paraît facile pour lui. Ses traumatismes ne sont pas assez sentir et il se permet peut être trop d'écarts. C'est peut être son côté impulsif qui est étrangement géré. On sait le personnage capable d'entrée dans des périodes de rage et de folie, mais pendant des années, à ses débuts, il a su se contenir, ne devenant incontrôlable quand quand il était épuisé et poussé à bout par des ennemis toujours plus retords. En fait c'est surtout ce qu'il fait lors de la scène d'action finale qui me gêne et que je trouve pas raccord avec ce qu'il va devenir ensuite.

Ça reste un bon récit, agréable à lire, mais Miller peut faire mieux, Romita jr ne pas entièrement convaincu et la colorisation est faiblarde et tire vers le bas plus d'une fois les dessins. A lire pour connaître les origines du personnage, mieux connaître son entourage, mais il existe de nombreux récits plus maîtrisés sur le personnage. [7]
arnonaud
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le 4 mars 2014

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arnonaud

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