Le cancer sans détours ni pathos
Non, la bande dessinée flamande ne se limite pas à Suske en Wiske (Bob et Bobette), Jommeke ou Kiekeboe! L’illustratrice flamande Judith Vanistendael le démontre avec éclat. A mille lieues de ces "stripverhalen" très populaires mais aussi très basiques, la fille du poète et essayiste bruxellois Geert Van Istendael signe avec "David, les femmes et la mort" une BD poignante et originale sur le déclin d’un homme atteint du cancer. Cet homme, c’est David, un libraire quinquagénaire un peu taiseux qui vit à Berlin, entouré de femmes. Il y a tout d’abord sa femme Paula, 17 ans plus jeune que lui, qui voudrait tant que David arrive à mettre des mots sur sa maladie. Ensemble, Paula et David ont une fille pleine de vie et d’énergie qui s’appelle Tamar. Celle-ci n’a que 8 ans au moment où son papa apprend qu’il a un cancer. David a également une grande fille, Miriam, née d’une première union avec une certaine Julia, dont on sait juste qu’elle est "partie à l’Ouest". Miriam vient à peine de donner naissance à une petite Louise lorsque le médecin annonce la terrible nouvelle à David : il a un cancer. Et il a très peu de chances de s’en sortir. A partir de là, Judith Vanistendael raconte de manière pudique et sensible le lent déclin de David, en prenant son temps (son roman graphique fait tout de même plus de 250 pages !) et en découpant le récit en 3 chapitres centrés chacun sur l’une des femmes entourant David. De cette manière, elle montre aussi que chacune a un rapport très différent à la maladie. Miriam est comme son père: elle a beaucoup de mal à communiquer et à parler avec lui de son cancer. Tamar a, elle, la spontanéité de l’enfance: elle profite à fond de l’instant présent avec son père, tout en imaginant momifier son corps avec son copain Max. Quant à Paula, elle est par moments totalement perdue et elle a tendance à fuir la confrontation avec son mari malade. A tel point qu’elle accepte même un voyage professionnel en Finlande, alors que lui est pourtant au plus mal. Le quatrième et dernier chapitre est, lui, consacré aux derniers jours de David. L’auteure y aborde également l’euthanasie, un thème encore tabou en Allemagne. C’est notamment pour cette raison qu’il est intéressant que son histoire se situe à Berlin plutôt qu’à Bruxelles ou à Gand. Le dessin et la mise en page de Judith Vanistendael ont parfois de quoi désarçonner (notamment parce qu’elle utilise des techniques et des découpages assez inhabituels), mais une fois qu’on s’y habitue et qu’on entre vraiment dans son univers graphique, il faut reconnaître que l’auteure flamande a su trouver le ton et l’atmosphère justes pour parler d’un sujet aussi grave que la mort. Et ça, ce n’est pas donné à tout le monde. A noter aussi quelques très belles trouvailles graphiques, qui donnent une réelle poésie à l’ouvrage. En particulier les pages dans lesquelles David et Paula font croire aux petits Max et Tamar que les lettres qu’ils s’échangent peuvent être envoyées d’un coin à l’autre du pays simplement en étant accrochées à un ballon gonflable. Les pages où l’on voit Paula reconstituer le squelette de David avec des dessins assemblés sont elles aussi très émouvantes. Un livre fort, assurément.
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