L'Arabe du Futur

J'aime bien l'œuvre de Fabien Toulmé. A mon sens, le gros point fort de son oeuvre reste "Les deux vies de Baudoin", qui racontait une histoire personnelle simple et très forte d'un jeune gars qui apprend qu'il a un cancer en phase terminale et n'a plus que quelques mois à vivre.

"Les Reflets du Monde" et "Suzette" m'avaient un peu moins plu, de par leurs sujets un peu moins puissants et une narration très diluée, mais ça restait sympa à lire.

Avec ce premier tome d'Hakim, on suit le quotidien d'un jeune pépiniériste syrien qui subit les premiers événements de la guerre civile de son pays. Arrêté et torturé par le régime en place, il est certes libéré mais reste dans le viseur des forces de sécurité et n'a finalement d'autre choix que l'émigration vers des pays voisins (Liban, Jordanie, Turquie) pour essayer d'un trouver un avenir meilleur.

Le livre est très prenant, je l'ai lu ainsi que les tomes 2 et 3 d'une seule traite. On y découvre l'enfer de la guerre civile syrienne, les difficultés liées à la migration (déracinement, exploitation, perte de statut social, dangers...) mais également quelques bribes de positifs (mariage, paternité, rêve d'une vie meilleure). Je ne crois pas avoir lu d'autres œuvres de fiction récentes qui soient aussi personnelles sur ces thématiques.

Malheureusement, je trouve que les partis pris scénaristiques et artistiques de Fabien Toulmé ne permettent pas tout à fait de rendre justice à cette histoire.

D'abord, l'auteur se met en scène lui-même en France dans ses rencontres avec Hakim. Le parti pris est intéressant. Dans un Maüs par exemple, ça marchait très bien car ça permettait de densifier et de nuancer la personnalité du personnage principal. Ici, je trouve que ça n'apporte rien car Hakim reste tout du long un personnage parfait (travailleur, courageux, père modèle etc...) sans jamais être nuancé. Toutes ces phases d'échange alourdissent finalement le récit de manière un peu agaçante mais sans rien apporter.

Hakim lui-même n'est pas un personnage qui est rendu très intéressant, alors que pourtant il vit des événements dramatiques. On remarque qu'il est débrouillard, honnête, etc... mais aucun vrai trait de sa personnalité n'émerge réellement. Est-il bavard, têtu, cultivé, fan de tuning ? On ne sait jamais. Au final, c'est un personnage lambda qui est rendu quasi Tintinesque tant il n'a ni aspérités ni personnalité.

D'un point de vue du dessin, le style volontairement inexpressif des personnages ne rend pas vraiment justice aux événements dramatiques qu'ils vivent. On ressent certes la peur, la douleur, les difficultés... mais sans prendre la pleine mesure de la véritable catastrophe qui s'abat sur eux. La terrible séquence où Hakim est dans les geôles du régime aurait pu être beaucoup plus dramatique par exemple. Après, c'était peut-être un parti pris de ne pas vouloir trop choquer.

Enfin, même si l'auteur essaie de décrire en détail les causes de guerre civile syrienne avec la dictature et les rivalités communautaires, il passe malheureusement complètement à côté des réelles causes profondes de l'explosion qu'a connu la Syrie. A savoir la grande sécheresse de 2008-2010 (pas anodin dans un pays à fort emploi agricole) combiné à une transition démographique brutale du pays (population multipliée par 10 en quelques dizaines d'années). Cela a généré toute une génération de jeunes travailleurs avec peu de perspectives d'emploi voire de survie, et donc à la révolution.

Très peu de journalistes sont allés jusqu'à ce niveau d'analyse malgré les milliers d'articles écrits sur le sujet (hallucinant, non?), donc bon c'est un peu facile de le reprocher à Fabien Toulmé. Mais disons que ça m'agace qu'un gros livre en 3 tomes sur le sujet n'aille pas aussi loin dans l'analyse.

Au global, le tome 1 reste un bon livre très prenant. Certes beaucoup moins terrifiant qu'un "Maus" et beaucoup moins personnel qu'un "Arabe du Futur", mais très bien quand même.