Dommage
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le 17 mars 2024
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Charles Burns conclut ici sa nouvelle trilogie en explorant à sa façon les tourments adolescents. Et il tourne intelligemment autour de références cinématographiques.
Brian habite dans une banlieue américaine typique, à l’image de celles que nous montre le cinéma, notamment depuis Edward aux mains d’argent (Tim Burton – 1991), peuplées de petits bourgeois ayant les moyens de s’installer dans une maison individuelle à l’écart de l’agitation des grandes villes. Ces gens privilégient le calme et la propriété au détriment de ce qui leur semble probablement accessoire dans un premier temps : l’uniformisation. En effet, dans ces quartiers péri-urbains, les maisons se ressemblent toutes et on en observe la caricature extrême dans un film plus récent, Vivarium (Lorcan Finnegan – 2020). Brian est un adolescent comme bien d’autres, suffisamment grand pour devenir quasiment autonome. Cinéphile déjà passionné, il fréquente régulièrement les salles obscures, et pas seulement pour voir des films visant un public adolescent. Au début, alors qu’il attend ses potes en retard, il repense à celui qu’il a vu récemment La dernière séance (Peter Bogdanovitch – 1971) film en noir et blanc dont il se remémore certaines scènes. Charles Burns se permet ainsi un effet de double narration… sans nous perdre. D’ailleurs, les potes de Brian finissent par arriver, dans un minibus conduit par Jimmy. Ils partent à six, en excursion avec du matériel cinématographique. Ces cinéastes en herbe veulent filmer quelques scènes dans un cadre naturel. Ils vont camper et faire une excursion en montagne vers un lac. Adeptes des films d’horreur, ils ont effectivement des idées en ce sens, qui vont jusqu’à l’utilisation de quelques effets spéciaux. De plus, ils comptent sur Laurie, la jolie rouquine qui fait l’illustration de couverture comme vedette. Si elle ne se prend pas spécialement au sérieux, celle-ci joue quand même le jeu.
Ne pas se fier aux apparences
On sait depuis les deux premiers volets de la trilogie que malgré leurs gentils minois, Laurie et Brian ne sont pas les adolescents bien lisses et propres sur eux que le dessin laisse imaginer dans un premier temps. Outre le fait que leurs cerveaux (Brian est l’anagramme de brain : cerveau) sont imprégnés des films d’horreur qu’ils aiment regarder, leurs personnalités révèlent également quelques abîmes que Charles Burns se plaît à explorer, d’où le titre de la trilogie. En particulier, ce sont des adolescents travaillés par leur sexualité qui se cherche. Ainsi, Brian est fortement attiré par Laurie, mais il ne sait pas comment s’y prendre avec elle. Quant à Laurie, elle se montre charmante, mais on comprend que ce qu’elle a en tête ne coïncide pas vraiment avec ce que vise Brian.
Dédales
Charles Burns montre les adolescents américains pas mal livrés à eux-mêmes, ce qui n’est pas spécialement novateur, puisqu’on voit cela régulièrement au cinéma. Cela lui permet cependant de planter la situation assez directement, sans qu’on se pose trop de questions.
En tant qu’initiateur-concepteur du projet cinématographique (avec Jimmy) qui lie le groupe, Brian peut se permettre quelques écarts plus ou moins discrets, comme de fixer le pubis de Laurie avec sa caméra quand la jeune fille sort du lac où elle vient de sa baigner. Quand elle lui demande ce qu’il fait, il prétexte juste une petite maladresse qu’il corrige immédiatement. Le dessinateur s’arrange quand même pour qu’on aperçoive une petite touffe de poils dépasser du maillot de Laurie depuis son entrejambe. Qui se laisse aller à une tendance voyeuriste ici : Charles Burns ou Brian (sans oublier le lecteur attentif) ?
Le titre prend ici une signification plus précise. L’expédition entre adolescents prend une tournure explicite, car s’ils tournent quelques scènes où Laurie fera son effet, tout tourne autour des divers jeux de séduction, leur libido les travaillant. D’ailleurs, le couple déjà « installé » reste au camp de base sans s’occuper directement du tournage.
Cinéma et réalité
On réalise finalement que, tout occupé par ses projets cinématographiques, Brian risque de passer à côté de sa vie. En pensant cinéma, il se met lui-même en quelque sorte en dehors de la réalité. Pour s’épanouir, il n’aura probablement pas d’autre choix que de sublimer ses envies profondes au lieu de les assouvir. Cela vient au moins en partie du milieu dans lequel il vit, avec son père absent et sa mère qui se comporte plus ou moins en zombie. Du coup, Brian ne réalise peut-être pas qu’il tend à s’enfermer dans des attitudes qui le coupent plus ou moins de la réalité. Ainsi, à la fin, quand Laurie vient le voir chez lui, elle le trouve prostré, au point qu’elle en arrive à la conclusion qu’il pourrait être sous médicaments. En réalité, elle ne réalise probablement pas que Brian reste sous le choc de la révélation qu’il a eue pendant leur récente expédition : Laurie ne sera jamais à lui. Le souci, c’est que Laurie cherche à être gentille avec lui (c’est sa nature profonde) sans réaliser qu’elle lui a probablement fait du mal sans le vouloir. Voilà à mon avis où sont les Dédales de cette trilogie. Il faut quand même ajouter que le groupe d’adolescents voit des situations d’horreur potentielles un peu partout. Finalement, ils se conditionnent eux-mêmes et ont beaucoup de mal à sortir de certains schémas de comportements. Le fait qu’ils soient trop souvent livrés à eux-mêmes n’aide pas. Le dessinateur complique un peu la situation en alternant les points de vue sans prévenir, mais on comprend quand même assez facilement quand il change de narrateur.
Le cerveau, outil surpuissant difficilement contrôlable
Charles Burns maîtrise parfaitement son sujet en mêlant fantasmes (rêves) et réalité. Son style caractéristique fait une nouvelle fois merveille ici. Avec son dessin au trait léché très proche de la ligne claire, il produit un premier effet séduisant. La narration montre une nouvelle fois qu’il ne faut pas s’y fier. Tout son jeu sur les ombres en est l’élément révélateur, avec ses zones noires hérissées de pointes très caractéristiques. Au-delà des situations où on comprend que ce qui se joue est à chercher dans les allusions et sous-entendus, la conclusion montre la difficulté du passage des intentions à la réalité. Ainsi, Brian sait que le film que le groupe a élaboré ne sera pas à la hauteur de celui qu’il a en tête. C’est notre lot à toutes et à tous de vivre avec cette impression de ne jamais atteindre ce qu’on prévoyait et les artistes en font l’expérience avec leurs œuvres qui ne sont jamais exactement telles qu’ils les portent dans leur imaginaire. Gageons qu’il en est de même pour Charles Burns, même si ce qu’il produit fait son effet. Et même si cet effet peut varier d’un individu à l’autre, la satisfaction existe. Bref, Charles Burns met en scène d’une manière frappante le décalage entre ce que notre cerveau imagine, projette, fantasme et la réalité. Le plus souvent, on parvient à s’en accommoder. Parfois le traumatisme peut être plus ou moins violent.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné
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Créée
le 10 mars 2024
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