- Quinze ans... Pas grand-chose dans la vie d'un nain. Le temps ne passe pas pour nous comme pour les hums ou pour les culs-verts. Nos vieilles barbes, s'ils ne se font pas étripailler sur un champ de bataille ou dans l'arrière-salle d'un troquet malfamé, atteignent souvent les deux cents ans... Certains d'entre nous, ceux qui ont hérité du sang des grands anciens, peuvent vivre beaucoup beaucoup plus longtemps. Alors quinze années, c'est à peine un pet de lièvre dans notre histoire plusieurs fois millénaire. Sauf quand on a les treize maîtres la Loge Noire au joufflu, avec un contrat sur sa caboche qui ferait passer une rançon royale pour un pourboire dans le dernier bordel d'Yrlanie... Ça apprend la prudence, mais surtout ça apprend à apprécier à sa juste valeur chaque instant comme si c'était le dernier, si bien que ces quinze années écoulées valent bien un siècle de la vie d'un autre poilu. En vérité, j'étais plus libre qu'aucun poilu ne le sera jamais, libre de m'inventer vie après vie pour fuir mes assassins.
Les éditions Soleil poursuivent l'élaboration de l'univers mouvementé des terres d'Arran avec un nouveau chapitre s'articulant autour du peuple " Nains ", qui est rejoint en parallèle par d'autres sagas comme " Elfes ", " Orcs & Gobelins " et " Mages ", pour constituer une franchise d'héroïc fantasy d'une richesse passionnante dans laquelle on retrouve l'ordre du Talion avec la fameuse ligue des assassins. Nains, tome 7 : Derdhr du Talion, est un septième opus écrit par Nicolas Jarry, qui poursuit son idée en élaborant son récit dans la droite lignée du sixième volume " Jorun de la Forge ", qui à travers un nouveau personnage a remis en second plan l'illustre Redwin de la Forge (héros du premier volume), pour mon plus grand plaisir. Pour ce nouveau périple l'on retrouve Ordo, héros du second tome, qui depuis plus de 15 ans échappe aux maîtres assassins de la Loge noire, après son coup d'état contre l'ordre, en infiltrant divers grands maîtres de la Forge, des maîtres Ingénieurs de très haut rang, des Seigneurs Marchands, des Rois, des Généraux, sous différentes identités. Une ombre s'appropriant la vie des autres. Il est finalement reconnu par Derdhr du Talion, un des sept seigneurs de la Banque de Pierre, qui lui propose une alliance avec pour but de détruire une bonne fois pour toute l'ordre du Talion. Ce qui surprend avec ce récit c'est qu'il place son personnage principal " Derdhr ", au second plan pour clairement laisser Ordo aux commandes. Un choix étonnant venant contraster avec ce qui fut déjà fait, mais dont on a l'impression qu'il n'est pas pleinement assumé. C'est regrettable, car il serait mérité d'offrir un deuxième tome assumé pour certains personnages de la franchise.
Avec ce nouveau périple, Nicolas Jarry approfondit la fresque épique, sournoise, et vénéneuse des assassins de la Loge noire composée des commerçants, négociants et autres banquiers Nains, qui résument leurs pouvoirs aux secrets qu'ils détiennent, en faisant agenouiller les plus puissants devant une pression immorale gérée par des informations et des preuves accablantes. Le monde de l'information perpétué par le meurtre auquel Ordo espérait avoir mis fin. C'est dans ce contexte que l'on retrouve Ordo (qui fut offert à l'âge de 6 ans par sa famille à la Loge Noire comme la coutume le veut lorsque l'on est le sixième fils ou fille de la fratrie, né le sixième jour de la sixième lune), toujours accompagné de son dragon Hurlevent (pour ma plus grande joie), qui dans un premier temps n'est pas très enchanté par la proposition de Derdhr de repartir en guerre contre l'ordre. Un choix qui à l'époque lui a coûté cher avec la mort de Panham et Héba après l'incendie du Fort Draz, pour un résultat finalement déplorable puisque suite à cela, la maison d'Ettorn détenu par Urus, père d'Ordo, est devenue la plus riche de ce monde. La destruction des archives de l'ordre du Talion a accéléré la prise de pouvoir de la Banque de Pierre par Urus, qui a rassemblé tous les dissidents sous une seule bannière : la sienne. Jusqu'à obtenir la tête d'une coalition majoritaire qui possède quatre des sept sièges composant le pouvoir de la Banque. Derdhr, en tant que second Nain la plus riche de ce monde veut obtenir le siège d'Urus et mener la Banque de Fer.
Un récit d'infiltration où s'entremêlent des coups fourrés politiques acerbes avec des meurtres, des vols, des mensonges, des trahisons, du sexe, de la fourberie et des coups immoraux, à travers une ambiance sombre, froide et redoutable. Un scénario d'une maturité efficace avec des enjeux aussi bien dramatiques que scénaristiques, qui ne manque pas d'idées, et développe habilement le pouvoir de la Banque de Pierre au sein des Terres d'Arran. Niveau action on se régale, entre un combat entre assassins de l'ombre entre Ordo et un Elwe Noir, ou encore sur le champ de bataille contre deux ensorceleurs du feu, et pleins d'autres rebondissements très appréciables. Malheureusement, on devine trop facilement la néfaste finalité pour Ordo, qui se fait manipuler bien trop facilement. On croirait voir un novice à l'œuvre, tant les intentions de Derdhr sont facilement devinables. De la part d'un si grand stratège doué dans l'art de la tromperie, du mensonge, de l'information et de l'infiltration, ça a vraiment du mal à passer. Certes, Derdhr est une femme inquiétante qui est à craindre à tous les niveaux (ce qui fait qu'on regrette de l'avoir autant en retrait), mais pour un Nain du niveau de Ordo, elle mène bien trop facilement sa barque. Si bien, que le néophyte de ce personnage est déstabilisé tant il ne le reconnaît pas. Certes Ordo n'est plus l'assassin qu'il fut jadis, n'étant plus qu'un courtard côtoyé dans une autre vie, mais tout de même !
« J'étais comme un vieux tranchoir resté trop longtemps en terre... Rouillé et émoussé. Pourtant il me fallait très vite recouvrer ce qui avait fait de moi un maître de la Loge Noire, sinon le roi se ferait étripailler... et j'y passerais aussi. »
Le design de Pierre-Dennis Goux, associé aux dessins de Stéphane Créty, offre une magnifique structure visuelle à cette bande dessinée. Une superbe mise en page servie par des plans d'une précision chirurgicale offrant des décors panoramiques savamment détaillés. On se délecte tout du long de la grandeur et de la profondeur des habitations avec des citadelles et des châteaux très impressionnants comme avec le barrage en construction de la vallée des pics rocheux, la splendide Cité-État de Cambrione, la tour de Derdhr, ou encore la Banque de Pierre. Des architectures sublimes qui parviennent à retranscrire un cadre atmosphérique fabuleux, offrant la meilleure des structures à cette fresque visuellement fabuleuse. Une virtuosité technique qui s'exprime jusqu'aux costumes convaincants et aux traits expressifs crédibles des personnages, sur un jeu d'ombres d'une subtilité redoutable. Une construction graphique d'héroïc fantasy finement décomposée, jouant habilement du coup de crayon surtout autour des dragons majestueux.
CONCLUSION :
Nains tome 7 : Derdhr du Talion, des éditions Soleil, est un septième album écrit par Nicolas Jarry qui propose une suite inattendue au personnage d'Ordo, délaissant son héroïne principale pour un retour dans la ligue des assassins dans laquelle l'on va explorer davantage l'univers passionnant des Terres d'Arran avec la Banque de Pierre. Un scénario d'une intelligence redoutable qui malheureusement tombe dans une finalité terriblement prévisible venant un peu gâcher le rendu final. Bien qu'Ordo soit un personnage impactant j'aurais apprécié de découvrir un peu plus Derdhr.
Un périple attractif qui nous invite à poursuivre davantage l'épopée des nains.
- Bonne chance
- À un maître assassin on souhaite " bonne chasse "...