Détective Conan, pour le dire simplement, "c'est bien mais c'est long". C'est un manga à la prémisse potentiellement drôle et tragique: le jeune Shinichi Kudo, détective patenté, se fait empoisonner par un mystérieux homme en noir et se retrouve dans son corps rajeuni de dix ans; avec sa nouvelle forme d'enfant il doit résoudre des enquêtes aux côtés du désastreux détective Kogoro Mouri et trouver les responsables de sa condition. Et ça fait littéralement 25 ans que ça dure.
Le gimmick de Détective Conan est vraiment bon. L'idée principale est d'avoir cet enquêteur, plus perspicace que les autres mais dont la parole n'a aucune valeur, qui doit se démener pour être sur les scènes de crimes, analyser les preuves, bref enquêter et convaincre quand il a la solution. Aoyama s'est quand même facilité la tâche avec un élément narratif, celui du nœud papillon qui permet de changer la voix du personnage et souvent de lui donner une voix crédible aux yeux des adultes dans la pièce. Mais ça mis à part, on a de la place pour rire, être frustré, être tenu en haleine, bref rajouter une couche de tension ou d'humour sur la tension générée par les enquêtes. D'autant que la plupart du temps, Aoyama décale la révélation du meurtrier pour le lecteur; il ne l'apprend pas forcément quand Shinichi le découvre, mais bien quand il présente sa thèse à haute voix. Le tout rendu encore plus frustrant par la présence de l'incapable Kogoro Mouri qui n'a jamais la bonne solution...
Et tout ça est très chouette à suivre, avec des enquêtes plutôt de qualité durant les premiers volumes. Le style graphique est lisible et le design des personnages fait vraiment mouche; c'est clair et ça a du charme!
C'est alors que je dois faire une confession: je fais cette critique sur la base de quinze tomes et trois saisons de l'anime. Et je ne sais pas si je vais vraiment aller plus loin.
Le problème, c'est que pour expliquer pourquoi Shinichi devient le petit Conan, enfant détective génial, Aoyama crée une situation de mystère: un homme inconnu en noir lui donne un poison inconnu, le tout sur fond de trafique d'arme sous le manteau. Et ce mystère n'est jamais vraiment résolu, reste constamment en suspens, avance à rythme létargique et crée une insatisfaction constante, alors même que les enquête auraient pu se suffire à elles-même. Narrativement, on a constamment envie d'une carotte qui concerne personnellement Shinichi, mais à la place on a des déceptions et des culs-de-sac qui tirent vers le bas un manga procédural de qualité.
Pour aller plus dans le détail, le problème, c'est qu'à un certain stade, les enquêtes maintiennent un bon niveau d'écriture (voire s'améliorent, en réalité) et la prémisse de départ est plus encombrante qu'autre chose pour leur bon déroulement. Aoyama tente de rappeler que Conan est ce gamin dans les pattes de Mouri, mais jamais personne ne l'enlève réellement des scènes de crimes, parce que c'est redondant de devoir trouver à chaque chapitre une manière de lui permettre de suivre l'enquête en même temps que la police et Mouri. On a donc un Conan qui doit quand même endormir Mouri et parler avec sa voix pour chaque résolution d'enquête, qui doit vaguement se "faire petit" pour trouver des indices que personne ne voit. Mais on a aussi un Conan qui n'est jamais vraiment dans une situation où il doit être inventif pour faire résoudre l'enquête à Mouri à son insu. Aoyama parvient tout de même à régulièrement avoir de jolis dialogues de Conan pour donner un indice à Mouri sans lui dire directement, mais cela mis à part, Détective Conan pourrait pratiquement se passer de son gimmick après le dixième tome...
J'aime BEAUCOUP Détective Conan. C'est un manga avec beaucoup de charme qui découle de son gimmick central et des enquêtes sympathiques à suivre, dont certaines pourraient être d'excellents thrillers en étant étendues un peu plus ou en développant plus les antagonistes. Elles sont souvent construites avec bon sens, parfois demandant une certaine crédulité, mais toujours divertissantes et laissant la plupart du temps juste assez d'indices pour que l'on puisse deviner la solution avant la toute fin. Seulement il aurait fallut soit se passer de cette transformation et commencer le manga avec simplement un enfant détective extrêmement intelligent qui s'incruste sur des scènes de crimes - histoire de pouvoir faire durer le manga tant qu'il a des idées d'enquête; soit garder la prémisse mais finir le manga en quinze tomes (grand max) ou achever au moins la question de sa transformation rapidement dans un premier arc narratif. En l'état, c'est une bonne introduction au genre policier pour les enfants/adolescents, un divertissement de bonne qualité pour tout le monde; simplement c'est longuet si on le considère par le prisme de son mystère de départ...