The Witness représente tout ce que j'attends d'un jeu vidéo, mais surtout de ses créateurs: une ligne directrice, une envie particulière, une vision et une obsession. J'ai envie, quand je lance un jeu, que le développeur veuille me dire quelque chose, ou ait quelque chose à me dire. Il n'y a pas d'obligation à ce que cela soit profond et riche en philosophie. L'humour scatologique d'un Binding of Isaac me va tout autant. J'ai simplement envie de voir dans la tête de quelqu'un d'autre. Clairement, The Witness a été fait de cette manière. Sans lire tout et n'importe quoi sur Jonathan Blow, sans m'intéresser à sa personnalité médiatique, je vois dans The Witness un jeu qui représente son créateur. Pour cette première raison, je recommanderais The Witness, au même titre que je recommanderais The Stanley Parable ou The Beginner's Guide, Fez ou Braid, Dark Souls...ou The Binding Of Isaac donc, des jeux avec des philosophies de développement derrière. Maintenant, le cœur du problème, c'est que je ne trouve pas The Witness aussi bon que le précédent jeu du développeur et je dirais même que si je le flagelle d'une note aussi sèche, c'est parce qu'il manque cruellement de beauté dans son game-design.
Je reste positif sur l'ingéniosité des gens derrière le jeu et la capacité à déployer une seule mécanique de casse-tête de manière à rendre des dizaines/centaines de puzzles "différents" en variant simplement quelques paramètres. Maintenant, la présentation et le nombre n'en font pas un objet aussi élégant que d'autre puzzle-game où le décors est plus qu'un menu de sélection des puzzles (je pense à Portal, Braid, Fez ou Antichamber). Une immense partie de The Witness consiste à présenter un écran au joueur avec un quadrillage sur lequel il devra joindre un point A à un point B en prenant en compte un nombre croissant de sous-mécaniques (récupérer des objets sur le passage, isoler certaines cases d'autres, faire des formes particulières avec le trait avant de rejoindre la sortie...). Deux problèmes peuvent se poser, et se sont posés me concernant: 1- le jeu propose des zones qui servent de tutoriel à chaque mécanique mais la règle de base n'est jamais exactement expliquée; il se peut alors que l'on force la résolution (sur les premiers puzzle tuto, il n'y a généralement que deux ou trois routes à tester...) et que l'on ne comprenne donc pas la suite des puzzles avec cette mécanique qui eux ne peuvent pas être vraiment forcés, à moins d'être un génie en proba qui a tout le temps du monde et de lister toutes les solutions; 2- le jeu monte en nombre très rapidement et peut provoquer un vrai burnout face à un trop plein de défis du même ordre.
Et c'est un peu là que j'ai commencé à perdre foi en ma capacité à apprécier le jeu. Certaines zones ont une mécanique de base assez rafraîchissante et demandant de jouer avec le placement du joueur pour voir comment la résoudre. D'autre sont incrustés dans le décor et jouent sur les perspectives. Seulement la plupart des 300+ puzzles que j'ai résolu, étaient des écrans avec une ligne à tracer de A à B en esquivant tel carré pour telle raison, et au bout d'une centaine, j'étais juste épuisé, bloquant à chaque puzzle et ne trouvant aucune satisfaction dans l'idée de les résoudre puisqu'ils seraient suivis du même genre de problème. En mélangeant une logique "dans la boîte" qui consiste à réfléchir aux précédentes règles établies par une série de puzzles (souvent trop longue ou trop saccadée), et une logique "en dehors de la boîte" consistant à ne pas regarder le détail, mais à voir la sur-figure pour résoudre un problème qui n'apparaît pas au premier abord, The Witness m'a simplement semblé manquer de focus.
Je pense que la motivation aurait aussi été bien plus grande si le jeu avait proposé plus de "récompenses" sous forme de révélation ou de réflexion sur son univers ou sur le notre. Les quelques réflexions que j'ai pu trouver se sont révélées assez déconcertantes dans leur forme, bien qu'intéressantes dans le fond. Mises au chausse-pied,
les vidéos face caméra d'un homme qui explique l'importance de la science,
ça n'est pas vraiment ce que j'appelle une narration réussie. L'île est vide, belle dans ses couleurs et ses choix purement pigmentaires, mais aucune cohérence globale ne s'en est dégagée pour moi. C'est un beau menu de sélection de puzzles qui ne semble pas (pour avoir été vérifier je sais qu'il y a une "explication" à la fin) vouloir se donner au joueur malgré ses efforts répétés à la centaine, et qui dans le même temps semble avoir quelque chose à nous dire.
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Ce qui me tiraille réellement, c'est que malgré tout ce que je reproche au titre, à sa manière de faire et au fossé qui me semble séparer la simplicité extraordinaire des mécaniques nouvelles de Braid de l'aspect ultra méthodique de The Witness qui assèche jusqu'à la mort un seul et unique concept classique, malgré tout cela, je ne voudrais pas qu'il soit fait autrement. Pour la simple raison qu'un mec a pris huit années de sa vie pour faire ce jeu, y a mis sa pensée, sa façon de voir le jeu vidéo, la science, la philosophie et a eu la prétention (et pourquoi pas) de la communiquer de cette façon là. Et c'est ça qui est valable à mes yeux. Clairement je ne retiendrais pas The Witness comme une expérience qui m'ait été agréable ou même désagréable dans le bon sens du terme (comme un Silent Hill de la Team Silent), mais au moins, c'est le fruit du travail de quelqu'un, pas d'une entité globale sans pensée.