Le joueur émerge dans un long tunnel au bout duquel se trouve une porte. Sur cette porte, son premier puzzle, le premier d'une longue série. Il arrive dans un jardin étonnamment paisible niché bien à l'abri dans un château en ruines dont les remparts surplombent la mer. Un verre vide et un coussin sur le toit sont les traces d'autres humains qui ont vécu ici, bu, se sont cultivés, mais ce qui attire vraiment l'attention du joueur, c'est leur oeuvre maîtresse : cette île, superbe et paisible, lieu de raffinement, petit îlot dans ma bibliothèque Steam. Je ne suis pas sur une île, je suis dans un jeu, et son concepteur est Jonathan Blow. Ce qui change tout, bien entendu.
The Witness a été l'objet d'une très longue gestation - sept ans - et d'un budget relativement élevé pour un jeu présenté comme indépendant - six millions de dollars, c'est-à-dire la totalité des gains engrangés par Braid. Le marketing a été discret pour une sortie de cette envergure, jusqu'à cette fameuse critique publiée sur IGN qui balance tout de go le 10/10, génial, formidable, n'en jetez plus. Les gamers d'abord circonspects sont conquis, le jeu ne s'arrache pas mais se vend très bien, les précommandes affluent... puis les retours utilisateurs commencent à tomber, et là c'est le drame. "Boring". "No music". "Same puzzles again and again". Le fatidique "overhyped" est lancé.
Soyons honnêtes et admettons que The Witness n'est pas un jeu tout public. Le propos mortellement sérieux, l'absence de charme au-delà du remarquable travail visuel, les puzzles, encore et encore et encore perdront 80% des joueurs au bout d'une heure ou deux. Tout comme "La Princesse dont Sarko a parlé" ou un obscur film hongrois de neuf heures, The Witness n'est pas séduisant et ne cherche pas à l'être. Amateurs de soirées tranquilles avec vos amis, joueurs occasionnels de remue-méninges ou plus simplement gens normaux n'aimant pas vous enfermer des heures pour vous escrimer sur des centaines de variations de ça, vous pouvez partir, personne ne vous en voudra.
Pour ceux qui sont prêts à plonger, en revanche, vous êtes partis pour les quelques 24 heures les plus intéressantes de votre vie de joueur.
Je regarde le mur derrière mon ordinateur et je n'y vois rien. Il a été construit pour me protéger du froid et m'isoler. Je tire les rideaux et je regarde le ciel, bleu, vide.
Je regarde les murs construits par Blow et j'y vois quelque chose. Ils ont été construits pour une raison précise que je ne peux pas encore distinguer, mais que je commence à comprendre. Ces arbres, ces nuages, ce soleil. Ils existent pour moi, ils existent à cause de moi, le joueur. Sans moi, ce monde n'a pas de raison d'exister, et il y a derrière l'ordinateur un Dieu appelé Blow qui l'a créé afin que je résolve des puzzles. C'est un changement de paradigme qu'il faut admettre et dont il faut rester conscient : Rien n'est là par hasard. Chaque brin d'herbe est un morceau d'un immense puzzle dont les pièces mises ensemble forment un tout gigantesque que je ne peux saisir que fragment par fragment. Une fois ce principe assimilé, le jeu devient légèrement vertigineux, et appelle même des références religieuses et philosophiques pour enfoncer le clou, parfois un peu lourdement. Mais c'est une forme d'art que seul le jeu vidéo pouvait élaborer.
En termes plus terre-à-terre, la difficulté est là, et ceux qui s'inquiétaient du prix en auront pour leur argent. J'ai "fini" le jeu en 22 heures, et je doute avoir vu la moitié du contenu total. The Witness est le plus fantastique tutoriel qu'il m'ait été donné de voir depuis Portal, et là-dessus la com' n'avait pas menti : The Witness, c'est 700 itérations du même principe mais 700 itérations à chaque fois différentes. Le world design est fabuleux et déborde de détails maniaques qui participent chacun au désir du jeu de créer l'épiphanie (du grec phaínō, "se manifester, apparaître, être évident"), ce moment où le lien logique se fait (eurêka !), et la réflexion qui l'accompagne. L'architecture de l'ensemble a été assurée par de véritables architectes, qui font de l'île un espace de pure réflexion libéré de toute distraction, où tout ramène le joueur à sa mission première.
The Witness représente une autre tendance dans le jeu vidéo, bien distincte de l'indé et de l'artsy. C'est un jeu d'intellectuel, qui a un propos assumé bien que volontairement obscur, brasse des références savantes et récuse beaucoup des principes qui régissent le jeu vidéo de nos jours. Ainsi que l'a fait remarquer une vidéo très critique que j'ai vue avant d'écrire cette critique, le jeu n'est pas 'fun'. Blow a toujours été franc à ce sujet : pour lui, le jeu vidéo ne doit pas être mesuré à l'amusement qu'il procure, mais aux émotions qu'il fait naître. Le jeu n'offre pas non plus d'objectif, en cohérence avec sa philosophie de liberté totale du joueur, et ne récompense donc pas la découverte autrement qu'en offrant d'autres choses à découvrir. Plusieurs excellentes critiques parmi lesquelles celle-ci le font remarquer : The Witness se moque de la notion de récompense. Avant de commencer, posez-vous la question : suis-je prêt à jouer pour le seul plaisir de découvrir et d'apprendre ? Suis-je prêt à jouer en sachant que
à la fin de ma partie je serai renvoyé au tout début du jeu sans que rien, ni achievement, ni message, ni sauvegarde, ni changement dans l'île ne m'indique que j'ai réussi à terminer le jeu ?
Si vous êtes prêts à tout cela, alors foncez. The Witness, même s'il le présente de façon peu séduisante, offre un trésor de réflexion et de beauté à qui acceptera de s'en saisir. J'aime bien, pour ma part, cette approche à rebrousse-poil pour ce qu'elle a d'iconoclaste.
Mais peut-être ne suis-je aussi qu'un connard élitiste ravi qu'on lui cite du Nicolas de Cusa dans le texte. Un peu comme les jurés du festival de Cannes furent sans doute secrètement satisfaits, dans le temps, de refiler la Palme d'Or à Oncle Boonmee. Les fous. Ou les génies ?
"Two major schools of Zen exist in Japan : the Rinzai and the Soto.
Both have the same goal, of seeing the world unmediated, but their approaches are different. In the Soto school, the emphasis is on quiet contemplation in a seated position without a particuliar focus for thought. The method of the Rinzai school, however, is to put the intellect to work on problems that have no logical resolution. Such problems are known as koans, from the Chinese kung-an meaning "public announcement."
Some are mere questions, for example:
"When your mind is not dwelling on the dualism of good and evil, what is your original face before you were born?"
Others are set in a question-and-answer form, like:
"What is the Buddha?"
Answer: "Three pounds of flax" or "The cypress tree in the courtyard"
(to name but two of the classic responses).
According to tradition there are seventeen hundred such conundrums in the Zen repertoire. And their common aim is to induce a kind of intellectual catastrophe, a sudden jump which lifts the individual out of the domain of words and reason into a direct, nonmediated experience known as satori.
Zen differs from other meditative forms, including other schools of Buddhism, in that it does not start from where we are and gradually lead us to a clear view of the true way of the world. It is not a progressive system in this respect. The sole purpose of studying Zen is to have Zen experiences - sudden moments, like flashes of lightning, when the intellect is short-circuited and there is no longer a barrier between the experiencer and reality.
David Darling, 1996, in The Witness, Jonathan Blow & Tekla. 2016.