"Tuez-les, tuez-les, tuez-les tous"
Il y a de ces séries auxquelles on s'attache particulièrement, mais qu'on ne pourrait pourtant vraiment savoir défendre avec de grands arguments. Ce genre de trucs, dont le seul commentaire vraiment pertinent pourrait presque se résumer ainsi : « putain ! qu'est-ce que c'est con ! » (suivi d'un rire idiot) Pourtant, peut-être parce que l'humour niais réveille un truc en nous, on est parfois assez enclins à devenir drogué à ces conneries. C'est comme ça que je ne décroche plus de The Big Bang Theory, en dépit des nombreux défauts qu'on pourra trouver à la série. C'est comme ça que j'ai suivi du début à la fin les mésaventures de Soichi Negishi alias Krauser II, frontmen de Detroit Metal City.
Maintenant, j'ai quand-même un petit argument de taille, qui fait que pour moi la série dépasse n'importe quelle autre connerie du genre, et qui lui donne, je crois, son importance. C'est ceci : comme l'on rappelé mes camarades dans les autres critiques, Soichi, le héros de l'histoire, a un rêve : devenir chanteur à succès de J-pop sirupeuse, être vêtu à la dernière mode, percer à Paris, « la capitale des arts »... être classe et sensible, en somme. Pourtant il est Krauser II, le maître du métal, grimé ridiculement, et joue une musique bruitiste, aux textes grossiers.
Leitmotiv de la série, Soichi n'arrête pas de répéter que ce n'est pas la musique qu'il veut vraiment jouer. Or, sur scène, il est systématiquement emporté par son personnage, et l'utilise pour déverser ses frustrations et sa rage. Autrement dit : Soichi, le chanteur pop, et Krauser, le démon des enfers, ne sont qu'une seule et même personne. Si le personnage est en lutte perpétuelle avec lui-même, c'est bien qu'au fond, il ne peut choisir. Et son tiraillement vient, lui, plus du poids de conventions sociales interdépendantes des milieux et de leurs règles. Sauf que, nous le savons, aucun être humain n'est prédisposé à entrer de façon optimale dans un cadre précis, imposé par des contingences et de l'arbitraire.
Nous ne sommes pas naturellement nés pour porter du cuir noir, ou mettre notre casquette à l'envers. C'est là l'intérêt principal de DMC, de jouer sur ce tiraillement entre bienséance et pulsion, entre un cadre social et un autre. Et je crois, par ailleurs, que cela est encore plus significatif pour une société telle que le Japon, beaucoup plus rigide et astreignante que la notre, qui l'est déjà pourtant pas mal.
Un peu triste tout de même, maintenant que la série vient de terminer (tome 10 sorti il y a quelques jours), de devoir se rendre à une évidence : aussi vrai que soit mon susdit argument majeur, la série n'est rien de plus que ce qu'elle est. Peut-être l'auteur n'avait-il pas les moyens d'en faire plus. Peut-être les restrictions éditoriales l'ont-elles aussi paralysé dans ce schéma type qui semble avoir fait le succès du titre. Je vais un peu SPOILER ici, mais résumons le « Final track » : après avoir tenté une énième fois de quitter le groupe, Soichi est revenu pour défaire son plus grand rival (comme dans tout shonen, il y a des rivaux, et plus on avance, plus ils sont forts). Il se rend finalement compte qu'il ne pourra jamais arrêter d'être Krauser. Il décide donc – enfin ! – de dévoiler la vérité à sa tendre Yuri.
On aurait pu espérer tout de cette fin : Yuri, dégoûtée par la vérité, aurait définitivement mit fin à son amitié avec Soichi ; de dépit, ce dernier aurait abandonné ses aspirations pop et ce serait enfoncé sombrement dans le métal, Krauser devenant finalement sa véritable identité. Ou bien : Yuri, pleine d'amour, aurait pardonné ; toujours par amour, elle aurait suivi Soichi dans sa carrière, devenant fan nº1, se laissant même violer par Krauser, pourquoi pas sur scène, dans une sorte de sacrifice chrétien épatant (envoyez les doujins !) . Ou encore : finalement s'acceptant tel que lui-même, Soichi aurait trouvé une sorte de tangente, en se transformant en Krauser-Pop, se réalisant entièrement et créant une nouvelle tendance réunissant tout. Mais rien de tout ça. Cet idiot voulant déclarer sa flamme, décide de le faire sous les traits de Krauser. Yuri ne comprend pas qu'ils ne sont qu'un, elle repousse Krauser. Soichi est deg', il retourne se lâcher sur scène. Puis on finit sur une page reprenant avec quelques changements la toute première, laissant présager une sorte de boucle éternelle, où le mécanisme de la série se répète indéfiniment. Et voilà tout.