Daniel Blancou est un auteur extrêmement attachant par son sens très poussé de l’autodérision, on le sait depuis « Un auteur de BD en trop ». Le fait d’avoir opté de nouveau pour la fiction autobiographique lui permet d’explorer librement ses côtés obscurs, ceux dont on n’aime généralement guère se vanter... « Daniel Blanquette », son double et personnage central du récit, va être mis à rude épreuve, en proie à son démon intérieur qui n’aura de cesse de le parasiter dans son désir de succès en tant que bédéaste et le poussera à commettre des actes peu glorieux qui l’enfonceront chaque fois un peu plus. Symbolisé comme dans Tintin par une tête de diable à queue fourchue, parfois contredit par l’ange, le binôme bienveillant et réconfortant, on le verra virevolter presque constamment au fil des pages autour de Blanquette, le harcelant sans pitié, telle la mouche du coche, de ses moqueries destinées à lui faire perdre toute confiance en lui.
On peut dire que c’est souvent drôle, encore faut-il être réceptif à ce type d’humour à la fois cérébral et plutôt subtil (on sourit plus qu’on ne rit), que ne facilitera peut-être pas la forme narrative un rien foutraque, intégrant nombre de récits dans le récit. Outre ses anciennes planches, dont un polar foireux, des illustrations de documentaires ou des strips, on y trouve les dessins d’une dizaine de confrères qui ont participé au projet, rebaptisés pour l’occasion par des « pseudos d’acteurs ». Ainsi, Mathieu Sapin devient « Mathieu Malin », Lisa Mandel est « Lisa Modèle » ou encore Blutch qui ici se fait appeler « Crush ».
Blancou a conservé le graphisme assez stylé qu’on avait apprécié dans « Un auteur de BD en trop », un trait humoristique minimaliste assorti à une colorisation vintage tramée. Très souvent, il se contente de ne dessiner qu’un seul œil à ses personnages, en particulier en ce qui concerne son personnage central, « Blanquette », ce qui contribue à singulariser sa marque de fabrique.
Sans avoir l’air d’y toucher, l’auteur de « BD rigolotes », écartelé entre son envie d’être reconnu et sa (fausse ?) modestie, parle aussi de l’égo propre au milieu de la bande dessinée, inhérent à tout domaine artistique, des petites jalousies et autres hypocrisies, ou encore de l’échec qui fera de vous un loser patenté. Le monde est une jungle, et le 9e art n’y échappe pas, même s’il n’atteint pas le sommet souvent boursouflé des mondanités cannoises et autres.
On peut supposer que « Deviens quelqu’un ! » aura permis – et c’est tant mieux - à « Daniel Blanquette » de laisser définitivement derrière lui son démon dans l’incendie final ô combien symbolique même si la conclusion en demi-teinte nous laisse avec ce constat tragique du pauvre gorille livré à lui-même parce que trop faible pour vivre avec le clan. Cet ouvrage à l’humour doux-amer constitue une lecture plaisante, même si par son côté disparate on peut la considérer un poil en dessous d « Un auteur de BD en trop », dont le scénario semblait mieux maîtrisé.