Pour nous autres français, le nom de Go Nagai est surtout associé à l'adaptation animée de son UFO Robo Grendizer, alias Goldorak. A l'inverse, une de ses premières oeuvres et une des plus populaires au Japon, publiée à partir de 1972 dans la revue Shônen Magazine, est restée particulièrement confidentielle chez nous. Son nom: Devilman.
Autant être prévenu d'avance. Rien de ce que vous aurez vu dans Goldorak ne vous a préparé à Devilman. Passée la naïveté des tous débuts, l'oeuvre de Go Nagai va vite révéler son vrai visage. Celle d'une hydre à trois têtes renfermant en son sein un maelstrom de noirceur et de pourriture. Tous le chaos et la violence qu'à engendré la société humaine est contenue dans les cinq volumes qui composent Devilman.
Bien que revêtant les atours du pur shônen, Devilman permet à Go Nagai de régler ses comptes avec une humanité qui manifestement le débecte, une engeance qui détruira tout sur son passage au cours des siècles, la nature, la beauté, la vie. Des monstres à visage humains qui vont bientôt subir la vengeance implacable des vrais démons, ceux chassés de ce paradis terrestre. Et un seul être, fruit schizophrène de ses deux espèces, peut encore sauver l'humanité.
Convoquant nos peurs enfantines et ancestrales, capable de nous foutre les pétoches à partir d'une atmosphère délétère et cauchemardesque, Devilman étonne surtout par sa violence graphique décomplexée, par sa folie furieuse et sa nudité frôlant parfois le hentaï. Absolument tout peut arriver dans Devilman, même la mort atroce et sauvage d'un gosse ou d'un des personnages principaux. Une liberté totale de ton qui compense allégrement quelques longueurs et autres bavardages.
Si l'auteur bâcle parfois les expressions de certains protagonistes, caricaturaux au possible, la majorité de ses planches sont tout simplement sublimes, Go Nagai accouchant de visions purement dantesques à vous exploser la rétine. Sublimant ses créatures, il maîtrise aussi parfaitement la mise en page, à la fois rythmée, pertinente et furieusement inventive, baignant d'ailleurs dans une atmosphère psychédélique du plus bel effet.
Méconnue dans nos contrées, Devilman est un manga d'une puissance évocatrice incroyable, directement en lien avec les bouleversements sociaux et politiques de son époque. Un sabbat imparfait et inégal mais sacrément vénère, ultra-violent, aussi beau que terrifiant et d'un jusqu'auboutisme qui laisse sans voix.