Premier one-shot de la série DoggyBags Présente, South Central Stories développe l'esprit crasse et fantastique de DoggyBags sur le fil d'une histoire au long cours : Neyef nous immerge dans
le South Central du lendemain des émeutes de 1992,
où les gangs régissent la vie des quartiers en y semant la mort à coups de vengeances et d'avertissements. Scénario creusé autour de plusieurs personnages et de différents points de vue, dessin punchy et stylé, narration dynamique, South Central Stories est un régal du genre.
Un meurtre sur commande pour l'initiation de deux gamins qui se cherchent un avenir où South Central n'offre d'autre horizon que celui des gangs : il n'en faut pas plus pour que l'un des deux s'émancipe et improvise au feeling, laissant couler le sang largement au-delà des limites de leur cible. Quand le frère de la putain assassinée comprend que la police de Los Angeles a d'autres chats à fouetter que de trouver le coupable, il décide évidemment de se faire vengeance seul. Les implications du petit frère et l'évocation de la légende du bluesman Robert Johnson viennent bientôt teinter la narration de fantastique et
la descente aux enfers prend là son élan,
irrémédiable, inévitable. Neyef tisse une toile d'échos dramatiques avec brio, sans temps mort, sans jamais lâcher l'attention du lecteur, le propos, désabusé, tranchant comme un hachoir.
Le trait l'est tout autant. Visages de caricatures aiguisées où l'exagération expressive fait l'impact des identifications, décors riches sous des ambiances colorées, Neyef maîtrise autant le montage et la dynamique narrative que la colorisation, pour notre plus grand bonheur de lecteurs avertis. Dans les grands espaces comme à l'étroitesse d'intérieurs miteux, son sens du détail habille à merveille cette histoire de violence débordante déversée sans retenue dans les rues d'un South Central déserté par une atmosphère d'angoisse pesante. Sang et feu,
les séquences vibrent d'une brutalité palpable
presque envoûtante, fascinante.
Run confirme là son talent d'accompagnateur et offre à Neyef le format indispensable au développement de son art de conteur : South Central Stories, s'il reprend en partie l'univers de Mutafukaz, respire le macadam bouillant, permet au néophyte de poser un nouveau regard sur les émeutes de 1992, sans compassion, et déclenche sinon l'empathie,
une compréhension profonde des enjeux auxquels sont confrontées les populations d'une cité des anges
rongée de corruption, de trafics et de violences.