Après des années d'attente et une adaptation anime qui traîne, le manga culte de Q.Hayashida, Dorohedoro, revient en grandes pompes chez Soleil dans une Chaos Edition de toutes beautés. L'occasion de plonger (ou de replonger) dans les entrailles magiques d'un univers unique en son genre, inclassable, et loin des codes du genre, entre fantasy et post-apo.
Dans Dorohedoro, on suit les mésaventures d'un homme à tête de lézard, Caïman, à la recherche du mage qui l'a affublé d'une tête pareille. Dans sa quête d'identité et de vengeance, il sera épaulé par Nikaido, jeune femme tenant une boutique de gyozas. La seule solution pour trouver réponse à ses questions ? Mettre chaque mage qu'il trouvera dans sa gueule pour que l'entité se trouvant dans son corps lui dise si il est celui qu'il cherche. Le ton est désormais donné pour un récit choral bordélique, sanglant, humoristique et épique mélangeant tripes, magie et gyozas !
La force de ce manga atypique, paru entre 2000 et 2018, réside autant dans son dessin sauvage, crasseux et punk que dans le joyeux chaos de personnages que nous propose de suivre Hayashida : l'amateur de gyozas Caiman, le pro des champignons En, l'explosive Ebisu, le pauvre Fujita, la masse de muscles attachante qu'est Noi....
En récit choral qu'il est , de nombreux personnages à la personnalité excentrique se croisent et s'éloignent en permanence, avec leur propre trames et objectifs personnels. Dans une véritable foire aux quiproquo, certains antagonistes se révèlent être des alliés, les protagonistes meurent puis revivent... Ce "chaos organisé" évolue sur plusieurs mondes : celui des Mages, celui des humains, et l'enfer, lieu des diables. Tout ce beau monde va donc vivre de nombreuses aventures, autant improbables que dangereuses, évoluant dans un univers régit par la magie et la violence, au sein d'un univers steampunk/fantasy/post apo/underground complètement hors normes. Mais ici, cette violence est stylisée et normalisée, conférant une noirceur jubilatoire tant graphique que narrative. Il faut dire que Hayashida prend un malin plaisir à donner la mort à tout va, avec une frénésie unique en son genre, et un trait à l'encontre des codes habituels (le fait de laisser les tracés de ses croquis sur le produit fini, l'aspect très crade de ses environnements, son trait chargé...).
Même l'usage de la magie est atypique, avec un fonctionnement extrêmement organique, lié à la chair même des mages, et dont le produit brut est une sorte de fumée noire épaisse et dense qui sort de leur corps. L'autrice va même jusqu'à évoquer ces particules comme une forme de pollution, dont les dépôts contamine joyeusement Hole. Car oui, dans Dorohedoro, les mages sont très certainement les pires personnes à croiser au détour d'une rue, tant il se joue de la morale et d'un usage respectueux de leur pouvoirs, préférant plutôt s'épandre en meurtres, transformations gratuites et autres horreurs magiques innommables.
Chaque ruelles, chaque bâtiments suintent la fumée et la crasse, dite crasse dans laquelle patauge l'espèce humaine en permanence, tenant de survivre à la sournoiserie des mages. C'est dans ce tourbillon de violence graphique et organique, dans ce dépotoir crasseux et étouffant, qu'évolue notre bande d'allumés. Dorohedoro s'impose ainsi comme bien davantage qu'une référence du manga : œuvre hybride à la patte unique avec un univers mêlant divers influences, cette création de Hayashida montre un talent certain à concevoir un univers aux lois à part, à la confluence de plusieurs styles.