Doubt
5.7
Doubt

Manga de Yoshiki Tonogai (2009)

De doute, je n’en ai pas eu beaucoup au moment d’adresser la note qui fut celle-ci. Pour un peu, j’ai presque senti la main de l’auteur guider la mienne sur la souris alors qu’il me susurrait à l’oreille « Allez, je l’ai bien mérité ». La chose m’apparaissait si palpable que j’en venais même à me demander si son manga, il ne l’avait pas finalement écrit avec l’intention délibérée d’être critiqué comme il se devait. Doubt, un manga ? Non, c’est une provocation formulée en noir et blanc. Une à laquelle j’ai répondu sans hésiter ; car encore une fois, le doute n’était pas permis.


Avant d’être ce que ça se destinait à devenir – notez l’ampleur de l’euphémisme – Doubt, c’était d’abord très bateau. Pas bon, pas mauvais, pire encore que mauvais : commun. Les dessins sont abandonnés sur les pages sans même chercher à élaborer un style quelconque . Du quelconque, il y en a, mais du style, certainement pas. La banalité s’incarne en version dessinée. Avec de pareils designs dépourvus d’imagination, sans le moindre détail à l’horizon, il est difficile d’en dire du bien. C’est assez pauvre en tout cas. Mieux vaut un trait moins élaboré et plus personnel qu’un calque tiré du manuel « Apprendre à dessiner les mangas » dont on ne retiendra jamais rien de bon. Le schéma que je m’apprête à tracer est sévère, mais il est exact : sur le plan du style graphique, Doubt s’apparente à une version Seinen – donc supposément plus aboutie – de ce qu’a pu être Sword Art Online. Je comprendrais… à l’aune de cette observation, que vous renonciez à lire le reste de ma critique après avoir été ainsi persuadé de ne jamais toucher à un volume de l’œuvre dont je relate ici les méfaits.


Aussi attendez-vous à ce que le fond s’harmonise idoinement à la forme puisque Doubt s’engage d’emblée à ne pas construire un seul de ses personnages. Ils trouveront néanmoins le moyen de s’illustrer à leur manière de sorte à ce que vous éprouviez quelques sentiments à leur égard. Des sentiments qui, en continu, vous amèneront à vouloir leur coller des baffes dans la gueule jusqu’à vous en faire saigner les paumes. Insupportables d’inintérêt, ils le sont tous dans un registre différent. C’est une certaine idée de la variété des caractères. Pas une à laquelle je sois réceptif.


Déjà que les personnages, à chaque réplique qui leur échappe, vous engagent à ne pas poursuivre l’œuvre une case plus loin, la narration, en renfort, s’assure de mieux vous saloper le plaisir de la lecture. Le récit n’est pas fluide, l’agencement des pages, le paneling ; tout ça est loupé au point de rendre des interactions pourtant banales infiniment plus confuses qu’elles ne devraient l’être. On bute sur chaque case comme on le ferait sur chaque mot en lisant un roman dont la syntaxe approximative se serait embarrassée d’une ponctuation anarchique.


Dès le premier chapitre, tout ce beau monde, déjà bien mal présenté par une narration démissionnaire, trouve le moyen de parler pour ne rien dire. Chaque réplique apparaît comme une diversion ayant pour seule intention de nous écarter du cœur de ce qu’on espère voir un jour se formuler sous la forme d’un semblant de scénario. Et tout ça pour de la niaiserie. « Soyons amis » dit le personnage principal à une jeune fille larmoyante en fauteuil roulant. Ces deux mots, même un personnage de Shônen coutumier du discours sur l’amitié (Oui Anzu, je pense à toi) aurait répugné à les prononcer tant ceux-ci sont inauthentiques.


En fin de chapitre, l’auteur se souvient du script après avoir improvisé durant de longues pages. Le jeu peut enfin commencer. Et j’ignore s’il y a matière à se réjouir pour autant. Kaiji pouvait nous comprimer la poitrine rien qu’avec une partie de pierre-papier-ciseau – sans parler du poker et du MahjongLiar Game ne manquait pas de détourner un jeu simple comme les chaises musicales pour en faire un traité de logique pure, mais Yoshiki Tonogai, avec le jeu du loup-garou, récemment popularisé à l’internationale avec Among Us, n’est pas foutu d’écrire une ligne intelligente pour nous tromper. Le récit est transparent et n’amène à rien. Sans finalité ni de suite dans les idées, Doubt est un de ces jeux d’esprit sans esprit et dont le côté ludique est éminemment contestable ; c’est un pur concentré de vide étalé sur papier.

J’affabule en clamant qu’en deux chapitres de temps je savais qui était le loup-garou ? Mais enfin, réfléchissez. Une observation élémentaire – encore permise par les carences de la narration – nous conduit naturellement à délibérer sur l’identité du tueur. Il n’y a qu’eux dans l’hôpital, à l’exception de Rei qui est morte et Mitsuki que tout accuse tant et tant qu’on sait pertinemment qu’elle n’est pas la responsable. On sait en outre que le lapin – donc le loup-garou – les regarde depuis un poste de télésurveillance. On se doute que le tueur est un des personnages présentés dans le premier chapitre car un inconnu n’aurait aucun sens du point de vue du récit…. Ça ne pouvait être que Rei. Vous savez, celle qui est présentée dans l’intrigue avec une peluche de lapin (CLIN D’ŒIL!!!).

Ce que nous a fait le petit père Tonogai, c’est rien moins qu’une Aizen Sôsuke avec trois ans de retard. À l’exception près que Tite Kubo avait sublimement dissimulé le coupable, qu’il avait su surprendre son lecteur et le tout, dans un Shônen qui est retenu du plus grand nombre comme un recueil de bourrinades caractérisé. Ce constat devrait en principe intimer à l’humilité.

Mais faut-il donc écrire avec un stylo inséré dans le rectum pour être aussi navrant de prévisibilité ?

Y’a pas une once de paranoïa qui parvient à se légitimer à une seule occasion dans le script. On brasse simplement de l’air sur quatre volumes de temps d’ici à ce que la révélation brinquebalante vienne piteusement s’affaler sur le lecteur. Je me sentais sincèrement gêné à la place de l’auteur en observant son coup de théâtre en peau de lapin. D’autant qu’il devait en être fier, ce qui ne rend le tout que plus lamentable.


Toutes les fausses pistes jetées ici et là sont grossières à l’extrême, transparentes elles aussi, comme autant de tentatives pathétiques pour tromper le lecteur. Je vous parle de tromperie de l’ordre de faire semblant de jeter un bâton à un chien en le gardant à la main. Il ne se trouvera assurément que des lecteurs aussi dotés intellectuellement qu’un labrador pour s’y laisser prendre.

Du reste, tout ce que l’histoire compte d’invraisemblable est lamentablement rapiécé à la rustine pour tenter de dissimuler l’ineptie constitutive de l’œuvre. Juste de quoi maintenir Doubt debout afin que le tout puisse enfin s’effondrer après avoir croulé sous le poids de sa connerie.

Quant on en est à invoquer l’hypnotisme (oui, littéralement comme pour Aizen) afin de justifier qu’un personnage ait pu en manipuler d’autres et ainsi tromper son monde tout du long, on sait ce qu’on a fait. Et en principe, il n’y a pas de quoi en être fier. D’autant que l’hypnotisme en question est à hurler de rire tant rien n’est crédible dans son agencement. Il n’y a manifestement eu aucun travail de recherche sur le procédé. Et les malentendus veau-de-villesque, où l’on apprend que la source d’une paranoïa exacerbée et sans fondement tenait au fait que deux personnages étaient en réalité partis acheter un cadeau d’anniversaire, ça aussi c’est à se la mordre. Mais tout cela ne vaut pas la révélation à base de «Je tirais juste les ficelles » (c’est un verbatim) qui n’est faite que d’impérities désastreuses recouvertes de clichés aveuglants. Un loupé pareil, c’en est presque resplendissant. La motivation derrière ce jeu macabre ? « Oh, je sais pas, on va faire un truc à la « Je sais ce que tu as fait l’été dernier» » a dû se dire l’auteur qui, alors, en était manifestement au summum de ce que lui permettait son inspiration. Quand Yuu, passé cette révélation drolatique, se demande sincèrement pourquoi personne ne le croit, c’est sans doute qu’il n’a pas dû réfléchir à la situation plus d’une seconde. Car concrètement, je serais plus disposé à croire que la mer rouge ait un jour été fendue en deux qu’à la thèse de l’hypnose collective.

Doubt peut et doit se considérer comme l’insulte suprême à tout ce que la fiction, ou même la réalité, a un jour pu compter d’enquêtes à suspects multiples. Je vous parle là du guide explicatif des choses à ne pas faire pour savoir justement susciter le doute. Car quand l’œuvre n’était pas prévisible, elle frayait en plein delirium scriptural où rien ne faisait sens. Le Ta Gueule C’est Magique sur lequel est bâti Doubt n’était évidemment pas viable. Cette fondation précaire peut en principe tenir quand l’œuvre ne s’embarrasse que de peu de prétentions, mais est vouée à s’effondrer dès lors où l’on aspire à une once de contenu sérieux et cohérent.


À n’en point douter, Doubt est un de ces mangas que l’on lit pour constater à quel point un auteur peut se planter en quatre volumes de temps à peine. Si Yoshiki Tonogai devait s’en tirer avec un lot de consolation, ce serait celui d’avoir écrit un condensé d’erreurs à ne surtout pas commettre et qui auraient été mises à bout les unes des autres.


Et pourtant, malgré cette conclusion sans appel de ce qui se présente comme une anthologie de non-écriture, l’auteur en aura retiré de la fierté. Assez en tout cas pour perpétuer son manquement à l’occasion d’une récidive éditoriale intitulée « Judge ».


Errare Humanum Est, Perseverare Diabolicum.

Josselin-B
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le 10 févr. 2023

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Josselin Bigaut

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