Ou pourquoi une chinoise s’appelle Elizabeth
Après un album assez lumineux malgré la tension dramatique, Cosey réalise ici un album beaucoup plus sombre. Par contre l’album est un sommet de suspense et de fantastique à retournements surprises. A mon sens, on s’éloigne un peu de la perfection atteinte dans l’album précédent, mais le scénario très travaillé montre que Cosey est en pleine possession de ses moyens.
L’album débute sur 3 planches sans texte (hormis le titre) qui posent l’ambiance. Jonathan est emmené par des soldats chinois qui l’ont récupéré évanoui au bord d'une route. Il se retrouve dans une cellule, complètement isolé à cause de la barrière du langage. Son esprit vagabonde et ce qui l’a mené à cette situation nous est présenté dans un long flashback. Il cheminait à pied, en compagnie de Drolma, vers le Sinkiang en territoire chinois. La raison ? Quelque chose a attiré Drolma par là dans ses rêves. Drolma et Jonathan ont pénétré en territoire très surveillé et dangereux. Ils ont été récupérés par des paysans chinois chez qui ils font la connaissance d’un Russe nommé Karamazov, qui n’a pas de frère (!) mais qui cite Gogol « L’ennui est une invention moderne ». Karamazov fait d’étranges cauchemars.
Le lecteur n’est pas au bout de ses surprises. Les rencontres de Jonathan sont aussi diverses que surprenantes. Le drame est aussi bien politique qu’humain. Quant à Cosey, il a concocté son scénario le plus étonnant de la série, avec un côté fantastique très prononcé qui n’empêche pas la poésie d’affleurer. Une poésie qui est accentuée par le dessin toujours très beau. A noter que l’organisation des planches est toujours un régal pour le lecteur. La variété d’organisation est toujours au service du lecteur et non pour l’épater. Ainsi, une planche fait dans les vignettes parallélépipédiques, ce qui permet à Cosey de suggérer l’idée du mouvement en grimpette (avec un véhicule pour le moins original). J’ai également noté quelques espaces laissés en blanc, comme quoi Cosey ne cherche absolument pas le remplissage. Usage du blanc aussi pour certaines cases sans couleur, ce qui les fait ressortir de façon très judicieuse. Quant à la fameuse Douniacha du titre, elle a un lien avec le personnage du moine au visage dans l’ombre d’un parapluie (voir la couverture). Ce personnage inquiétant a une grande importance dans l’histoire.
Un album de qualité qui occupe une position difficile, entre deux des meilleurs titres de la série. Cosey suggère de le lire en écoutant « Arbour Zena » de Keith Jarrett. J’ai préféré « Shéhérazade » de Rimsky-Korsakov pour la tonalité russe.