Marcello Quintanilha a beau être brésilien, si vous attendez de lui qu’il vous propose une sorte de dépliant touristique enchanteur sur son pays, vous risquez d’être déçu, car en effet, ce n’est pas le genre de la maison. Quintanilha serait plutôt du côté obscur, mais avec pour objectif d’y débusquer l’origine du mal et de le mettre en lumière. A l’inverse de son président, Bolsonaro, qui lui, est bien du côté obscur, mais à la façon d’un gamin retors prétendant que tout va bien tandis qu’il vient de foutre le feu à la maison du voisin.


Alors c’est vrai, situer son récit dans les favelas n’a rien de vraiment glamour, ce serait même plutôt rébarbatif. De plus, la situation de cette mère courage, Márcia, ne prête guère à rire. Sa fille Jacqueline (!) n’en fait qu’à sa tête et se la joue diva tout en étant maquillée comme un camion volé. Dotée de formes généreuses comme sa mère, Jacqueline aggrave son obésité en se gavant de Doritos et de Coca à longueur de journée, ce qui ne l’empêche pas de faire ressortir ses attributs par des tenues provocantes, au diable les bourrelets ! De plus, la jeune femme est arrogante et odieuse, presque jusqu’à la caricature, avec Márcia et Aluísio, le compagnon de cette dernière, préférant le clinquant illusoire que lui propose le gang du quartier. Márcia, qui travaille comme infirmière à l’hôpital, ne va pas ménager sa peine pour tenter de sortir sa peste de fille de cette spirale infernale, mais la lutte semble perdue d’avance…


C’est donc une chronique sociale que nous propose Marcello Quintanilha, dans laquelle il expose à la face du monde comment on vit dans une favela, et pourquoi il est presque impossible d’en sortir, même quand on en a la volonté inébranlable comme Márcia.


L’auteur a posé sur cette misère sociale des couleurs bariolées, et criardes qui plus est, car dans « Ecoute Jolie Márcia », on n’est pas dans la nuance. Ça gueule tout le temps, ça brasse dans tous les sens, ça hurle, ça pète les plombs, ça rie et ça crie fort, et parfois ça castagne sévère. On n’est pas dans un décor de rêve, pas davantage dans un manoir victorien feutré qui pourrait rassurer le bourgeois. D’ailleurs ça pique un peu les yeux, et même le dessin est mal fagoté… La seule concession de l’auteur aux clichés sur son pays, ça sera donc cette fameuse couleur, qui est là pour mettre un peu de baume sur la misère, car au Brésil, « grisaille » semble être décidément un mot inconnu du dictionnaire.


Dans tout ce tumulte invraisemblable à la violence prégnante, l'émotion et la poésie ont quelque peu de mal à émerger, si l’on exclut la scène poignante des retrouvailles entre Márcia et Aluísio. Comme pour édulcorer l’âpreté de ce récit éprouvant, la conclusion prendra une tonalité plus légère, qui pour un peu paraîtrait presque incongrue. Malgré la forte personnalité des deux protagonistes principaux, Márcia et Jacqueline, on peine pourtant à s’y attacher véritablement, peut-être à cause de leur caractère un rien rudimentaire, pour ne pas dire cliché (la mère courage et la lolita « badass »). Le mérite de l’auteur réside davantage dans le tableau édifiant d’un milieu social que personne n’a envie de regarder et qui renvoie une image peu glorieuse de la société brésilienne à travers ses trop célèbres favelas. Dissimuler la misère sous les masques chamarrés de ses carnavals ou derrière son Christ rédempteur dominant la baie de Rio semble être resté jusqu’à présent l’option la plus économique et la plus probante touristiquement parlant.

LaurentProudhon
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le 28 févr. 2022

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